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remis immédiatement une somme de vingt mille francs, en le suppliant de lui faire passer de mes nouvelles ; mais oncques elle n’en a reçu.

» Outre qu’elle est fort inquiète de l’état de ma santé, elle n’est pas sans quelque crainte d’avoir été trompée par un audacieux intrigant, car l’homme auquel elle a remis cette somme de vingt mille franco, serait, lui a-t-on dit, resté plusieurs semaines à Rio-Janeiro, après sa visite chez elle, et il aurait fait au jeu des gains considérables, à la suite desquels il aurait disparu sans qu’on puisse savoir ce qu’il est devenu.

» La Luigia me supplie, si je suis réellement à Montevideo, ce qui ne lui paraît pas absolument incroyable, parce qu’elle a vu ma démission annoncée dans les journaux français, de lui faire savoir dans quelle situation je m’y trouve, et elle se met à ma disposition de toute manière, regrettant que son engagement avec l’impresario brésilien ne lui permette pas d’aller elle-même chercher des renseignements qu’elle espère de mon ancienne bienveillance pour elle.

« S’il était vrai, ajouta-t-elle, que vous ayez retrouvé votre mère et qu’elle soit retenue en captivité au Paraguay, j’y pourrais peut-être quelque chose. J’ai ici un autre lord Barimore ; le duc d’Almada, chambellan de l’empereur, s’est épris pour moi d’une passion qui va jusqu’à la folie. On trouverait difficilement un soupirant moins dangereux, car c’est un vieillard de quatre-vingt-trois ans, mais galant, propret, sans aucune des infirmités et des déplaisances de son âge. Je n’ai qu’un mot à lui dire, et tout le crédit que le ministre des affaires étrangères, son neveu, peut avoir auprès du gouvernement du Paraguay, sera mis à votre disposition pour obtenir la liberté de votre mère.

» Vous devriez vous-même, me dit encore la Luigia, venir à Rio-Janeiro ; vous y seriez accueilli avec le plus grand empressement. Les Brésiliens ont le goût des arts, pour lesquels ils montrent eux-mêmes les plus grandes dispositions, et vous savez peut-être qu’en 1816, une colonie d’artistes français vint s’établir à Rio-Janeiro pour y instituer, avec la protection et les encouragements officiels du gouvernement, une École des