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se juge sa supériorité morale sur son mari : celui-ci ne cesse de tourner autour de votre secret : le pauvre esprit, il en est encore à s’apercevoir que je ne suis pas un homme que l’on fasse parler. »


VI

CE QUE C’EST QUE DE NOUS


« Cher ami, écrivait Jacques Bricheteau à Sallenauve, vers la fin de juin, j’ai une triste nouvelle à vous apprendre : le pauvre M. de l’Estorade, en quelques jours nous a été enlevé par un mal affreux, ce que les médecins appellent un cas rare, et que rien jusque-là n’avait fait présager chez lui.

» Il n’avait pas plus de cinquante quatre ans, bien que l’affection de foie dont il souffrait depuis longues années, lui donnât l’air infiniment plus âgé ; ainsi, ayez donc un mal bien défini, bien connu, que vous surveillez avec attention, en vue duquel vous vous imposez un régime et des privations, pour qu’un beau matin, un autre agent de destruction tout à fait imprévu, un intrus, si l’on peut ainsi parler, vous envahisse et vous emporte sans vous donner même un moment pour vous recueillir et vous préparer. Le moyen, je vous prie, de baser quelque chose sur notre pauvre machine humaine ! il y a là une paille ; c’est dans cet endroit que le métal doit céder ; point du tout ; la cassure s’opère sur un tout autre point, là où rien ne la faisait attendre. Je ne suis vraiment pas loin de me ranger à l’avis d’un homme que je trouvais autrefois paradoxal : de ma remarque d’aujourd’hui il avait fait un axiome : Jamais, disait-il, on ne meurt de sa maladie.

» Le pauvre M. de l’Estorade périt peut-être victime de son ministérialisme et de cette parlotterie fluide et sonore, qui lui avait donné à la Chambre des pairs une sorte d’importance. Après s’être très échauffé à la défense d’un projet de loi que M. de Rastignac lui avait vivement recom-