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correspondance.

turne, plein de finesse, poli, toujours gai ; celui qui dira que je suis poltron n’aura pas plus tort que celui qui dira que je suis extrêmement brave, enfin savant ou ignorant, plein de talents où inepte ; rien ne m’étonne plus de moi-même. Je finis par croire que je ne suis qu’un instrument dont les circonstances jouent.

Ce kaléidoscope-là vient-il de ce que, dans l’âme de ceux qui prétendent vouloir peindre toutes les affections et le cœur humain, le hasard jette toutes ces affections mêmes, afin qu’ils puissent, par la force de leur imagination, ressentir ce qu’ils peignent ? et l’observation ne serait-elle qu’une sorte de mémoire propre à aider cette mobile imagination ? Je commence à le croire.

Quoi qu’il en soit, permettez-moi de vous assurer que personne au monde plus que moi n’abhorre le joug, le joug même dont vous prétendez parler dans vote lettre.

En voilà assez sur moi ! J’espère qu’après une telle confession, vous ne me ferez plus parler de moi-même. Mais vous, comment se fait-il que vous vous portiez mal avec toutes les livrées de la santé ? Je n’accorde pas ce crachement de sang avec vos fraiches couleurs. Platon appelait le corps l’autre ; alors, je vous dirai que je plains l’autre de ses souffrances, car votre âme doit être toujours la même.

Je compte aller à Paris, et, malgré mon envie, il me sera presque impossible d’aller à Versailles : j’ai un monde d’occupations, de courses, d’opération. N’y a-t-il pas jusqu’à trois dents qu’il faut que je me fasse arracher ! Vous voyez que nous sommes l’un et l’autre entre les mains de la chirurgie, vous sous le pouvoir de la lancette,