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correspondance.

lumière sur la nature de mes malheurs. Il y a des gens qui meurent sans que le médecin ait pu dire quelle maladie les a emportés.

Tout ceci n’est à autre fin que de vous assurer que, de la dure contrainte dans laquelle j’ai vécu, il est au moins résulté une sauvage énergie et une horreur pour tout ce qui sent le joug dont vous ne pouvez pas avoir l’idée. L’habitude du commandement doit vous faire souffrir un refus comme le plus grand mal ; eh bien, je ne parle pas des refus (il n’y a rien de philosophique au monde comme un refus ou un mépris non mérité), mais d’une domination : une domination m’est insupportable ; j’ai tout refusé, en fait de places, à cause de la subordination, et, sur cet article, je suis un vrai sauvage. Et c’est moi que vous imaginez mené, où qu’on vous a dit mené ! Rien n’est plus faux.

Au surplus, madame, comme je ne veux plus avoir à vous parler de moi, car rien ne m’est plus à charge et n’est plus ridicule, je vous dirai que vous ne pouvez rien conclure de moi, contre moi ; que j’ai le caractère le plus singulier que je connaisse. Je m’étudie moi-même comme je pourrais le faire pour un autre : je renferme dans mes cinq pieds deux pouces toutes les incohérences, tous les contrastes possibles, et ceux qui me croiront vain, prodigue, entêté, léger, sans suite dans les idées, fat, négligent, paresseux, inappliqué, sans réflexion, sans aucune constance, bavard, sans tact, mal-appris, impoli, quinteux, inégal d’humeur, auront tout autant raison que ceux qui pourraient dire que je suis économe, modeste, courageux, tenace, énergique, négligé, travailleur, constant, taci-