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correspondance.

rarement sans le bon. Ensuite, je vous demanderai en quoi je pourrais me moquer, et sur quoi. Rousseau vous aurait dit brutalement : « -Pourquoi supposiez-vous que l’on pût se moquer de vous ? » L’histoire d’’Inès est bien, mais comme accessoire d’un grand récit ; comme nouvelle seule, elle perdrait tout ; ce sont de ces fleurs qui brillent au milieu d’un bouquet.

Je vous demanderai encore qui a pu vous dire que j’étais dans des chaînes fleuries, et quel génie me vaut votre recommandation d’aller sans bourrelet, ni lisières, ni bonne ? Je puis vous assurer, madame, que, si j’ai une qualité, c’est, je crois, celle que vous me verrez le plus souvent refuser, celle que tous ceux qui croient me connaître me dénient, je veux dire l’énergie. Vous devez avoir éprouvé vous-même combien les malheurs développent chez nous cette terrible faculté de se raidir contre la tempête et d’opposer à l’adversité un front calme, immobile. Moi (excusez-moi de toujours parler à la première personne, mais vous m’y forcez malgré toute ma répugnance), j’ai contracté l’habitude d’y sourire. Et il n’y a qu’une seule occasion pour moi de me moquer : c’est quand le sort me tourmente, et il n’a pas encore cessé. Je suis vieux de souffrances, et vous n’auriez jamais présumé mon âge d’après ma figure gaie. Je n’ai même pas eu de revers, j’ai toujours été courbé sous un poids terrible. Ceci peut vous paraître une exagération, une manière d’attirer sur moi votre intérêt ; non, car rien ne peut vous donner une idée de ma vie jusqu’à vingt-deux ans. Je suis tout étonné de n’avoir plus à combattre que la fortune. Vous interrogeriez tout autour de moi, vous n’obtiendriez aucune