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correspondance.

avoir mis entre vos sensations et la vérité un glacial vieillard ? Vous savez sans doute Sterne par cœurs ; souvenez-vous de l’histoire de Marie. Je trouve que la troisième personne de ce vieillard ôte du charme, surtout, dans un récit fait d’une oreille à l’autre, et où le je ne peut avoir que de la grâce. Ne sommes-nous pas tombés d’accord, un jour, que le naturel était le seul attrait que l’on dût priser ; et la Fontaine n’a-t-il pas tracé les devoirs des voyageurs dans ces vers que le pigeon dit à l’autre :

 « … J’étais là ; telle chose m’avint :
Vous y croirez être vous-même. »

Quant à me moquer, j’admire avec quelle bonne foi l’on parle et l’on écrit ; quel flux et reflux d’opinions contraires se balancent incessamment. Vous m’aviez fait l’honneur de me croire un esprit distingué, un de ces gens qui, sans être marqués pour de hautes destinées, savent néanmoins s’élever au-dessus des idées communes ; ne sont pas de ces niais qui, ôtez-leur la pluie, le beau temps, la chaleur, le Jockey, les actrices, la mode et les caquets, restent comme des assiégés à qui l’on a coupé les vivres. Je vous remercie humblement de cette opinion. Je ne vous dirai pas si j’en suis flatté, si elle est juste ; je vous ferai remarquer seulement que vous l’avez écrit, que vous êtes franche, et qu’alors vous le pensiez. Croyez-vous maintenant qu’un esprit dont les idées ont quelque largeur, qui rassemble de grands rapports, qui voit les choses en mass, descende jusqu’à se moquer ? La moquerie est ce qu’il y a de plus froid dans le monde ; elle annonce toujours quelque sécheresse dans le cœur, et le grand va