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correspondance.

malheureux mort, si malheureux en vie, qu’il faut bien souvent renoncer sur la couleur.

Tu vois que je ne suis pas toujours gai.

Il est arrivé à notre pauvre père bien-aimé un cruel accident. Il était venu à Paris, il y a quinze jours, pour recevoir la visite de madame de Montzaigle et de la grand’mère ; il a voulu, malgré nos instances, repartir aussitôt après pour Villeparisis.

Il a eu dans sa voiture l’œil gauche déchiré par le fouet de Louis, triste présage !… Le fouet de Louis toucher à cette belle vieillesse, notre joie et notre orgueil à tous ! le cœur saigne ! On a cru d’abord le mal plus grand qu’il n’est, heureusement ! Le calme apparent de mon père me faisait peine, j’aurais préféré des plaintes, je me serais figuré que des plaintes le soulageaient ! mais il est si fier à bon droit de sa force morale, que je n’osais même le consoler, et la douleur d’un vieillard fait autant souffrir que celle d’une femme !

Je ne pouvais ni penser ni travailler ; il faut pourtant écrire, écrire tous les jours pour conquérir l’indépendance qu’on me refuse ! essayer de devenir libre à coups de romans, et quels romans ! Ah ! Laure, quelle chute de mes projets de gloire !

Avec quinze cents francs de rente assurés, je pourrais travailler à ma célébrité ; mais il faut le temps pour de pareils travaux, et il faut vivre d’abord ! je n’ai donc que cet ignoble moyen pour m’indépendantiser, Fais donc gémir la presse, mauvais auteur (et le mot n’a jamais été si vrai !).

Si je ne gagne pas promptement de l’argent, le spectre