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plein de dévotes ! Il doit y avoir une furieuse provision d’amourettes et d’intrigues, car la dévotion est l’enseigne de tout cela.

Voici une nouvelle que les journaux ne vous donneront que très-imparfaitement. L’anniversaire de la mort du pauvre Lallemand[1] devait être célébré par un service funèbre ; quand les étudiants vinrent à Saint-Eustache, tout était fermé, et une bande collée, comme quand le spectacle manque, annonçait que, par ordre supérieur, le service n’aurait pas lieu. Les jeunes gens ajoutèrent au crayon que, « vu l’extrême liberté des cultes, » ils invitaient les amis du défunt à se réunir au boulevard Bonne-Nouvelle, d’où l’on irait au Père-Lachaise. Au rendez-vous on se trouva, par le plus grand hasard, sept ou huit mille en habit noir. Mais la garnison de Paris et la gendarmerie gardaient les approches du cimetière. Les étudiants voulurent forcer la consigne. Un officier ordonna de faire feu ; les gendarmes refusèrent d’obéir, et un jeune homme (un enragé, disent les ultras) se fit porter de bras en bras jusqu’à l’officier qui avait commandé le feu ; puis, découvrant sa poitrine, il dit : « Si vous voulez une autre victime, frappez ! je suis prêt, sûr que ma mort sera utile à la liberté de mon pays ! — Bravo ! bravo ! cria la foule. Vivent les soldats ! vivent les gendarmes ! » Alors, on se rendit dans un champ voisin, on forma le cercle, et un étudiant, au milieu d’un silence religieux, prononça un discours à la fin

  1. Lallemand était un jeune étudiant en droit qui fut tué, le 3 juin 1820, sur la place du Carrousel, par un soldat de la garde royale, au milieu de rassemblements causés par la discussion du projet de loi sur le double vote.