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correspondance.

je veux enfin, dussé-je en crever, venir à bout de Cromwell et terminer quelque chose avant que maman me vienne demander compte de mon temps.

Je suis plus engoué que jamais de ma carrière pour une foule de raisons dont je ne déduirai que celles que tu n’aperçois peut-être pas. Nos révolutions sont bien loin d’être terminées ; à la manière dont les choses s’agitent, je prévois encore bien des orages. Bon ou mauvais, le système représentatif exige d’immenses talents ; les grands écrivains seront nécessairement recherchés dans les crises politiques ; ne réunissent-ils pas à la science, l’esprit d’observation et la profonde connaissance du cœur humain ?

Si je suis un gaillard (c’est ce que nous ne savons pas encore, il est vrai), je puis avoir un jour autre chose que l’illustration littéraire ; et ajouter au titre de grand écrivain celui de grand citoyen, c’est une ambition qui peut tenter aussi ! Rien, rien que l’amour et la gloire ne peut remplir la vaste place qu’offre mon cœur, dans lequel tu es logée convenablement.

Ma sœur, ma bonne Laure, je voudrais vous voir tous richement placés, afin qu’on ne me tourmentât pas sur ma destinée ; il y a dans cette affaire un peu d’égoïsme peut-être, mais on me le pardonnera en faveur du bien qu’il produirait.

Aussi je désire la réussite de mon dessein sur Cromwell avec un grain d’intérêt, et je traite ma pauvre tragédie comme du marc de café : je calcule ce que j’en tirerai pour m’indépendantiser. Je ressemble à Perrette au pot au lait, et ma comparaison ne sera peut-être que trop réelle ! Si par hasard on vendait du génie à Villeparisis,