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correspondance.

pauvre garçon et les pompiers n’ont pu l’éteindre. Il a été mis par une belle femme qu’il ne connaît pas : on dit qu’elle demeure aux Quatre-Nations, au bout du pont des Arts ; elle s’appelle la Gloire.

Le malheur est que le brûlé raisonne, et il se dit :

— Que j’aie ou non du génie, je me prépare dans les deux cas bien des chagrins !

Sans génie, je suis flambé ! il faudra passer la vie à sentir des désirs non satisfaits, de misérables jalousies, tristes peines !…

Si j’ai du génie, je serai persécuté, calomnié ; je sais bien qu’alors mademoiselle la Gloire essuiera bien des leurs !…

Je te quitte pour dormir, j’ai passé la nuit à souffrir mort et passion ! Je vais me rembourrer l’esprit de quelque gentil rêve que je te raconterai au sortir des bras de madame Morphée. Adieu, Laure-Dusseck-Grétry-Balzac, charmante sœur-riri-panpan-croque-note ! Je ris comme un bossu et je t’embrasse. Ce que c’est que la philosophie ; elle fait oublier les douleurs les plus vives. Je dors.

J’éprouve aujourd’hui que la richesse ne fait pas le bonheur et le temps que je passerai ici sera pour moi une source de doux souvenirs ! Vivre à ma fantaisie, travailler selon mon goût, et à ma guise, ne rien faire si je veux, m’endormir sur l’avenir que je fais beau, penser à vous en vous sachant heureux, avoir pour maîtresse la Julie de Rousseau, la Fontaine et Molière pour amis, Racine pour maitre et le Père-Lachaise pour promenade !…

Oh ! si cela pouvait durer toujours !