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correspondance.

nourri absolument comme un grand homme, c’est-à-dire qu’il meurt de faim !

Autre sinistre : le café fait d’affreux gribouillis par terre, il faut beaucoup d’eau pour réparer le dégât ; or, l’eau ne montant pas naturellement dans ma céleste mansarde (elle y descend seulement les jours d’orage), il faudra aviser, après l’achat du piano, à l’établissement d’une machine hydraulique, si le café continue à s’enfuir, pendant que maître et serviteur bayent aux corneilles.

Avec le Tacite, n’oublie pas de m’envoyer un couvre-pied. Si tu pouvais y joindre quelque vieillissime châle, il me serait bien utile. Tu ris ? C’est ce qui me manque dans mon costume nocturne. Il a fallu d’abord penser aux jambes, qui souffrent le plus du froid ; je les enveloppe du carrick tourangeau que Grogniart[1], de boustiquante mémoire, cousillonna. Le susdit carrick n’arrivant qu’à mi-corps, reste le haut, mal défendu contre la gelée, qui n’a que le toit et une veste de molleton à traverser pour river à ma peau fraternelle, trop tendre, hélas ! pour le supporter ! Quant à la tête, je compte sur une calotte dantesque pour qu’elle puisse braver aussi l’aquilon, Ainsi équipé, j’habiterai fort agréablement mon palais !

Je finis cette lettre comme Caton finissait ses discours : il disait : « Que Carthage soit détruite ! » Moi, je dis : Que le Tacite soit pris !

Et je suis, chère historienne, de vos quatre pieds huit pouces le très-humble serviteur.

  1. Grogniart était un petit tailleur de Tours, chargé jadis d’ajuster à la taille du fils les habits du père, et qui ne s’acquittait pas de ce travail à la satisfaction d’Honoré.