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plains pas, car je suis heureux ; envie-moi plutôt, et pense à moi souvent.

Je te promets que, dès que mon premier acte sera presque poli, qu’il n’y aura plus que le dernier coup à donner, je te l’enverrai. Mais motus ! Diable ! ne badinons pas.

J’ai été singulièrement intrigué ; voici pourquoi (cela est de ta compétence) : Strafford amène la reine d’Angleterre à Westminster ; mais elle est obligée de se dépouiller de ses vêtements royaux pour traverser le pays, arriver à Londres et s’ouvrir l’entrée du palais. Quel devait être son premier sentiment en cet état ? Après bien des hésitations, j’ai donné la préférence à l’orgueil humilié. Il n’y a qu’une femme qui puisse me dire si j’ai trouvé juste.

Ah ! ma sœur, que de tourments donne l’amour de la gloire ! Vivent les épiciers, morbleu ! lis vendent tout le jour, comptent le soir leur gain, se délectent de temps à autre à quelque affreux mélodrame, et les voilà heureux !… Oui, mais ils passent leur temps entre le gruyère et le savon. Vivent plutôt les gens de lettres !… Oui, mais ils sont tous gueux d’argent, et riches seulement de morgue. Bah ! laissons les uns et les autres, et vive tout le monde !

Tu sauras que je me délasse de mes travaux en croquignolant un petit roman dans le genre antique[1]. Mais je le fais mot à mot, pensée à pensée, ou, pour mieux dire, ab hoc et ab hac. Je sors rarement ; mais, lorsque je divague, je vais m’égayer au Père-Lachaise. J’attends l’hiver pour travailler plus assidûment.

  1. Ce roman n’a jamais vu le jour.