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correspondance.

si, pour commencer à répandre des idées favorables à votre émancipation et à une éducation plus large, plus complète, je m’y prenais vulgairement et en annonçant d’avance mon dessein, je passerais tout au plus pour l’auteur ingénieux d’une théorie plus ou moins estimable ; qu’il me fallait donc envelopper mes idées et les rouler, pour ainsi dire, dans une forme nouvelle, acerbe et piquante, qui réveillât les esprits en leur laissant des réflexions à méditer. Donc, pour une femme qui a passé par les orages de la vie, le sens de mon livre est l’attribution exclusive de toutes les fautes commises par les femmes à leurs maris. C’est, en un mot, une grande absolution. Puis je réclame les droits naturels et imprescriptibles de la femme. Il n’y a pas de mariage heureux possible si une connaissance parfaite des deux époux, comme mœurs, habitudes, caractères, ne précède leur union, et je n’ai reculé devant aucune des conséquences de ce principe. Ceux qui me connaissent savent que j’ai toujours été fidèle depuis l’âge de raison à cette idée, et, pour moi, la jeune fille qui a fait une faute est plus digne d’intérêt que celle qui reste ignorante et prête aux malheurs de l’avenir, par le fait même de son ignorance. Aussi, célibataire pour le moment, si je me marie plus tard, ce ne sera jamais qu’avec une veuve.

Comme vous voyez, madame, voilà donc mon premier crime changé en une courageuse entreprise qui aurait dû me valoir quelques encouragements ; mais, soldat avancé d’un système à venir, j’ai eu le sort de toutes les sentinelles perdues : j’ai été mal jugé, mal compris ; les uns ont vu la forme, les autres n’ont rien vu