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correspondance.

je possédais : je n’avais que ma plume pour vivre et pour payer cent vingt mille francs. Dans quelques mois, j’aurai tout payé, j’aurai reçu, j’aurai arrangé mon pauvre petit ménage ; mais, pendant six mois encore, j’ai tous les ennuis de la misère, je jouis de mes dernières misères. Je n’ai imploré personne, je n’ai tendu la main ni pour une page, ni pour un liard ; j’ai caché mes chagrins, mes plaies. Et vous qui pouvez savoir si l’on gagne facilement de l’argent avec sa plume, vous devez sonder de votre regard de femme l’abîme que je vous découvre et le long duquel j’ai marché sans y tomber. Oui, j’ai encore six mois bien difficiles à passer, d’autant plus que, si Napoléon s’est lassé de la guerre, je puis avouer que le combat avec le malheur commence à me fatiguer.

Je suis donc une exception, un pauvre ouvrier qu’il faut venir voir, ou qu’il faut prendre quand il s’endimanche. Personne au monde ne sait le prix d’une de mes visités et je ne le dis pas par fierté ; mais à une amie sincère, je puis dire ces choses, certain qu’elles ne nous fâcheront pas. D’ailleurs, quoi de plus honorable, de plus grand, que de relever son nom, sa fortune, avec son esprit ? cela ne peut qu’exciter l’envie, et je ne plains guère les envieux.

Ainsi, ne croyez rien de mauvais de moi ; dites-vous : « Il travaille nuit et jour ; » et ne vous étonnez que d’une seule chose : de ne pas avoir déjà appris ma mort. Je vais digérer à l’Opéra ou aux Italiens, voilà mes seules distractions, parce qu’il ne faut là ni penser ni parler, qu’il suffit de regarder et d’écouter. Encore n’y vais-je pas toujours.