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correspondance.

matinées à toute heure ; que votre vie passée n’a de nom dans aucune langue ; elle est à peine un souvenir, et vous ne pouvez juger votre vie future sur votre vie passée. Que d’êtres ont recommencé de belles et de suaves vies, plus loin que vous encore dans l’âge ! Nous ne sommes que par l’âme ; savez-vous si la vôtre a reçu tous ses développements, si vous respirez l’air par tous vos pores, si tous vos yeux voient ? La plante, la fleur elles-mêmes ont une gradation, et que de tiges qui, dans les forêts, n’ont pas vu le soleil !

Il règne, dans votre lettre, une mélancolie qui semble échappée d’une âme qui n’aurait pas connu le bonheur, et je ne crois pas qu’il en soit ainsi. Il me semble que le bonheur, ce bonheur brillant, laisse une longue trace lumineuse, une voie lactée dans notre vie et que ses reflets se multiplient dans toutes nos situations, même les plus terribles. L’ange tombé ne parle pas comme l’homme ; n’a-t-il pas vu le paradis ? Il y a dans mes paroles une contradiction apparente dont vous n’accuserez pas ma pensée ; en y réfléchissant, vous verrez que je m’accorde et qu’on peut avoir été heureux, sans connaître le bonheur le plus parfait.

Je vous remercie de votre noble et belle confiance, et je vous prierai, avec l’accent de la plus vive ferveur, de ne jamais voir autre chose que ce que j’écris ; car, quoique je me sois interdit de vous parler de cette terrible lettre, elle m’annonce clairement un défaut d’indulgence, dirai-je ; grondez-moi tant que vous voudrez, mais ne vous mettez pas en colère. Partir pour cette terre ! Et où est-elle ? car, si vous y alliez, en vérité, il faut que je