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correspondance.

laissiez pas vous soumettre une considération dont j’ai été frappé. Vous accusez peut-être légèrement la jeune littérature de viser à l’imitation des chefs-d’œuvre étrangers. Croyez-vous que le fantastique d’Hoffmann n’est pas virtuellement dans Micromégas, qui, lui-même, était déjà dans Cyrano de Bergerac, où Voltaire l’a pris ? Les genres appartiennent à tout le monde, et les Allemands n’ont pas plus le privilège de la lune que nous celui du soleil, et l’Écosse celui des brouillards ossianiques. Qui peut se flatter d’être inventeur ? Je ne me suis vraiment pas inspiré d’Hoffmann, que je n’ai connu qu’après avoir pensé mon ouvrage ; mais il y a dans ceci quelque chose de plus grave. Nous manquons de patriotisme entre nous, et nous détruisons notre nationalité et notre suprématie littéraire, en nous démolissant les uns les autres. Les Anglais ont-ils été dire eux-mêmes que Parisina était la Phèdre de Racine, et vont-ils se jetant à la tête les littératures étrangères, pour étouffer la leur ? Non. Imitons-les.

Ceci, monsieur, n’est point une question personnelle, parce que j’espère qu’à la seconde édition de mon livre, le public reconnaîtra l’immensité, la nouveauté de l’entreprise sous le faix de laquelle je succomberai peut-être, ou que j’exécuterai mal, mais que j’ose tenter. L’ouvrage aura doublé d’étendue, et le plan en sera largement exposé par une plume plus habile que n’est la mienne. Je me félicite, monsieur, d’avoir un sujet d’entrer en correspondance avec vous ; je souhaite succès à votre entreprise honorable et bonne, et vous prie d’agréer mes compliments et les sentiments de considération distinguée avec lesquels j’ai l’honneur d’être votre tout dévoué.