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sous par lieue, en passant par les plus riantes rives du monde ; je sentais mes pensées grandir avec ce fleuve, qui, près de la mer, devient immense, Oh ! mener une vie de Mohican, courir sur les rochers, nager en mer, respirer en plein l’air, le soleil ! Oh ! que j’ai conçu le sauvage ! oh ! que j’ai admirablement compris les corsaires, les aventuriers, les vies d’opposition ; et, là, je me disais : « La vie, c’est du courage, de bonnes carabines, l’art de se diriger en pleine mer et la haine de l’homme (de l’Anglais, par exemple). » Oh ! trente gaillards qui s’entendraient… et mettraient bas les préjugés comme M. Kernock !

Revenu ici sans argent, l’ex-corsaire est devenu marchand d’idées, et il s’est mis en devoir de pêcher ses goujons pour en vendre. Figurez-vous maintenant un homme aussi vagabonnant qui part d’un article intitulé Traité de la Vie élégante pour faire un volume in-octavo que la Mode va imprimer et quelque libraire réimprimer. Cette entreprise comique et tuante me tient dans un étau depuis que j’ai écrit à M. Varaigne[1]. Ma compagne, qui s’absente d’ici pour douze ou quinze jours, emporte à Paris cette lettre et un tiers environ de ce volume, et vous me direz, avec votre rare et précieuse franchise, si le livre est digne de moi. Quant à la Vie de château, Émile[2], en l’insérant, a commis un véritable assassinat, C’était la première épreuve d’un article broché sur le bout de la table, et j’en avais ici un article fait en conscience, quand

  1. Victor Varaigne, directeur associé du Feuilleton des journaux politiques.
  2. Émile de Girardin, alors directeur du journal la Mode.