Page:Balzac - Correspondance de H. de Balzac, 1876, tome 1.djvu/116

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
99
correspondance.

cabinet, tant vous m’apparaissiez sous la forme d’un remords !…

Oh ! si vous saviez ce que c’est que la Touraine !… On y oublie tout. Je pardonne bien aux habitants d’être bêtes, ils sont si heureux ! Or, vous savez que les gens qui jouissent beaucoup sont naturellement stupides. La Touraine explique admirablement bien le lazzarone. J’en suis arrivé à regarder la gloire, la Chambre, la politique, l’avenir, la littérature comme de véritables boulettes à tuer les chiens errants et sans domicile, et je dis : « La vertu, le bonheur, la vie, c’est six cents francs de rente au bord de la Loire. »

Eh ! venez ici trois jours ; voyagez par Caillard, sur l’impériale, cela vous coûtera trente francs pour aller et venir (dix francs par jour) ; et vous aurez approuvé ma rédaction, en vingt-quatre heures, si vous mettez le pied en ma maison de la Grenadière, près Saint-Cyr-sur-Loire, maison sise à mi-côte, près d’un fleuve ravissant, couverte de fleurs, de chèvrefeuilles, et d’où je vois des paysages mille fois plus beaux que tous ceux dont ces gredins de voyageurs embêtent leurs lecteurs… La Touraine me fait l’effet d’un pâté de foie gras où l’on est jusqu’au menton, et son vin délicieux, au lieu de griser, vous bêtifie et vous béatifie. Aussi ai-je loué une maisonnette pour jusqu’au mois de novembre, car, en fermant mes fenêtres, je travaille, et je ne veux revoir ce luxurieux Paris qu’armée de provisions littéraires.

Figurez-vous ensuite que j’ai fait le plus poétique voyage qui, soit possible en France : aller d’ici au fond de la Bretagne, à la mer, par eau, pas cher, trois ou quatre