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correspondance.

mais, comme je n’ai de ma vie jamais blessé personne, pas même un ennemi, j’ai vivement regretté de m’être échauffé dans cette discussion littéraire ou à propos de littérature, puisque vous avez gardé si longtemps le souvenir de mes brutalités de parole. Cette irritation ne vient ni de mon âme ni de mon cœur : elle est causée par l’état nerveux où me met le café quand, au lieu de se répandre sur le papier, elle s’épanche dans le vide, c’est-à-dire quand, au lieu de travailler, je sors. Une vieille amie à moi s’est aperçue de cet effet, il y a dix ans, et, si quelquefois je le réprime, il y a des moments où la contradiction que j’éprouve m’en empêche. Vous aurez pensé que mon amitié vous était doublement onéreuse, tandis que j’éprouve assez de chagrin de vous voir en cela si mal partagé, que, jusqu’à présent, c’est moi qui suis l’obligé.

Vous me connaissez peu, mon cher Dablin, et, si vous m’aimez, vous prouvez qu’on peut aimer son ami comme on aime une femme, sans la connaître ; mais il n’y aurait pas de déception si vous me cultiviez. Un homme qui se lève, depuis quinze ans, tous les jours dans la nuit, qui n’a jamais assez de temps dans sa journée, qui lutte contre tout, ne peut pas plus aller trouver son ami qu’il ne va trouver sa maîtresse ; aussi ai-je perdu beaucoup de maîtresses et beaucoup d’amis, sans les regretter, puisqu’ils ne comprenaient pas ma position.

Voilà pourquoi vous ne m’avez vu que quand il s’agissait d’affaires. Je suis fâché que vous ne m’ayez pas répondu au sujet de l’assurance, car plus je vais, plus les travaux augmentent, et je n’ai pas la certitude de pouvoir résister à ce travail sans relâche. En ce moment, un voyage de