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correspondance.

reconnaîtrez mon innocence, et laissez-moi croire que les agitations terribles de votre vie ne vous ont été mesurées que sur la force de votre caractère ; que cette force vous donne de hautes et de belles pensées sur le changeant spectacle au milieu duquel vous vous êtes trouvée ; que, dans ce moment, la retraite au sein de laquelle vous vivez n’est pour vous qu’une nouvelle nuit qui attend son jour. En effet, plus j’ai réfléchi à votre destinée et à la nature de votre esprit, plus j’ai été poursuivi de cette idée, que vous étiez un de ces génies de femme qui peuvent prolonger leur règne plus loin que ne le veulent les lois ordinaires ; que vous pouviez faire sur une époque brillante ce que madame Roland n’a qu’essayé sur un temps de douleur et de gloire. Je ne sais si souvent vous n’avez ressenti de ces mouvements impétueux qui sortent du fond du cœur et vous maîtrisent, à l’aspect de la multiplicité des scènes, des figures héroïques, des grands caractères, mais j’aime à le croire, car il me semble que la nature vous a marquée d’un sceau choisi. Le hasard seul vous aurait-il lancée à travers toutes les contrées de notre vieille Europe, remuée alors par un titan entouré de demi-dieux !

Voilà, madame, ce que je pensais sur vous et ce que je n’avais pas le loisir de vous exprimer à Tours ; mais ajoutez-y que c’est l’expression de mes sentiments, et qu’ils sont vrais. Je puis m’être trompé ; mais, pour votre mérite même, je ne saurais rien retrancher, rien ajouter. Il y a chez moi une franchise étourdie qui ressemble beaucoup à celle de mademoiselle Joséphine[1] : j’ai trop d’insou-

  1. Mademoiselle Joséphine Junot d’Abrantès.