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que nous ne nous donnons pas nos caractères, nous les subissons, en naissant, de la conformation bizarre de nos organes (voilà pourquoi j’ai toujours trouvé absurde d’accuser l’orgueil d’un homme de génie, comme d’en vanter la modestie) ; mais je ne vois pas qu’on puisse refuser comme outrageant un caractère aussi extraordinaire pour une femme : il a ses avantages, ses brillants reflets, son attrait comme celui qui ne brille que par une exquise sensibilité. Il y a deux grandes classes de caractères chez les femmes : les Isidora[1] (permettez-moi de prendre ce touchant emblème de la grâce et de la soumission) et les Staël, dont les mâles idées, les conceptions hardies, la force enfin se trouve bizarrement unie à toutes les faiblesses de votre sexe, Clarisse, dans Richardson, est une fille chez qui la sensibilité est à tout moment étouffée par une force que Richardson a nommée vertu. Enfin, il y a là, à mon avis, deux sensibilités comme deux douleurs. La sensibilité de cette Espagnole dont l’amant se battait et qui lui servait de témoin ; elle arrive la première, l’adversaire lui demande pourquoi elle vient là : « Pour vous enterrer ! » dit-elle. Et la sensibilité de Bianca Capello, qui quitte honneurs, richesses, patrie, père, religion, tout, pour suivre son amant, et, nouvelle Isidora, de ses blanches mains apprête les divins repas de son bien-aimé.

Croyez-vous que les deux tableaux ne sont pas également beaux ? Pour tel caractère, celui de l’Espagnole sera séduisant ; pour-tel autre, Bianca semblera supérieure. Des

  1. Héroïne d’un ouvrage de madame d’Abrantès ; de même que Belvidera et Bianca Capello, dont les noms reviennent plusieurs fois dans ces lettres.