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CONTES DRÔLATIQUES.

femmes, aller et venir son vieulx Bruyn comme ung mulet de meusnier. — Mon bon Bruyn, ie veulx cecy ! Bruyn ! ie veulx cela ! Allons ! Bruyn ! Bruyn ! et tousiours Bruyn ! En sorte que Bruyn estoyt plus meurdry par la clémence de sa femme qu’il ne l’eust été par sa meschanceté. Elle lui tordoyt la cervelle, voulant que tout feust en cramoisy, luy faisant mettre tout à sac au moindre mouvement de ses sourcils ; et, quand elle estoyt triste, le senneschal esperdu disoyt à tout, sur son siège iusticial : — Pendez-le… Ung aultre eust crevé comme mousche à ceste bataille pucelaigesque ; mais Bruyn estoyt de nature si ferrugineuse, qu’il estoyt mal aisé de venir à bout de luy. Ung soir que Blanche avoyt mis au logiz tout sens dessus dessoubs, fourbu bestes et gens, et eust, par son humeur navrante, désespéré le Père éternel qui ha des threzors de patience, veu qu’il nous endure, elle dit au senneschal, en se couchiant : — Mon bon Bruyn, i’ay contrebas des phantaisies qui me mordent et me picquent ; de là vont à mon cœur, bruslent ma cervelle, m’incitent là des chouses maulvaises ; et, la nuict, ie resve du moyne des Carneaux…

— Ma mye, respondit le senneschal, ce sont diableries et tentations contre lesquelles sçavent se deffendre les religieux et nonnes. Doncques, si vous voulez faire vostre salut, allez à confesse au digne abbé de Marmoustiers, nostre voisin ; il vous conseillera bien et vous dirigera sainctement dedans la bonne voye.

— Dès demain, i’iray, feit-elle.

Et, de faict dare, dare, au iour, elle trottoyt au moustier des