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LE PÉCHÉ VÉNIEL.

pucelle, envie bien conditionnée, et qui luy troubloyt la veue, au poinct que elle ne veit plus son vieil espoux, mais bien le ieune Gauttier, en qui la nature estoyt ample comme le glorieux menton d’ung abbé. Quand le bonhomme entra dans Tours, les Ah ! ah ! de la foule le resveiglèrent ; et il vint en grant pompe avecques sa suite en l’ecclise de Nostre-Dame de l’Esgrignolles, nommée iadis la Greigneur, comme si vous disiez : celle qui ha le plus de mérites. Blanche alla en la chapelle où les enfans se demandoyent à Dieu et à la Vierge, et y entra seule, comme c’estoyt la coustume, en présence toutefois du senneschal, de ses varlets et des curieux, lesquels restèrent devant la grille. Quand la comtesse veit venir le prebstre qui avoyt la cure des messes aux enfans et de recepvoir déclaration desdits vœux, elle luy demanda s’il estoyt beaucoup de femmes brehaignes. A quoy le bon prebstre respondit que il n’avoyt point à se plaindre, et que les enfans estoyent d’un bon revenu pour l’ecclise.

— Et voyez-vous souvent, reprint Blanche, de ieunes femmes avecques aussy vieulx espoulx que l’est Monseigneur ?

— Rarement, feit-il.

— Mais celles-là ont-elles obtenu lignaige ?

— Tousiours ! repartit le prebstre en soubriant.

— Et les aultres qui ont moins vieils compaignons ?

— Quelquefois

— Oh ! oh ! feit-elle. Il y ha doncques plus de sécurité avecques ung comme le senneschal ?

— Certes, dit le prebstre.

— Pourquoi ? dit-elle.

— Madame, respondit gravement le prebstre, avant cet aage, Dieu seul s’en mesle ; après, ce sont les hommes.

Dans ce temps, c’estoyt chouse vraye que toute sapience estoyt retirée chez les clercs. Blanche feit son vœu, qui feut des plus considérables, veu que ses atours valloyent bien deux mille escuz d’or.

— Vous estes bien ioyeuse ! luy dit le senneschal, quand au retour elle feit piaffer, saulter et fringuer sa hacquenée.

— Oh ! oui, feit-elle. Ie ne suis plus en doubte d’avoir ung enfant, puisque aulcuns doibvent y travailler, comme ha dict le prebstre ; ie prendrai Gauttier

Le senneschal vouloyt aller occir le moyne ; mais il pensa que ce seroyt un crime qui luy cousteroyt trop, et il se résolut à finement machiner sa vengeance avecques le secours de l’archevesque.