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CONTES DRÔLATIQUES.

Lors, il luy print fort guallamment les mains et les luy mangea de caresses, en luy débitant de petites mignonneries et mignardises superficielles qui la feirent tout aise et contente.

Puis, comme elle estoyt fatiguée de la dance et de toutes les cérémonies, elle se couchia, en disant au senneschal : Ie vesgleray demain à ce que vous ne péchiez point.

Et elle laissa son vieillard, tout espris de sa blanche beaulté, amoureux de sa délicate nature, et aussy embarrassé de sçavoir comment il l’entretiendroy en sa naïfveté que d’expliquer pourquoy les bœufs maschoyent deux foys leur mangier. Quoiqu’il n’augurast rien de bon, il s’enflamma tant à veoir les exquises perfections de Blanche pendant son innocent et gentil sommeil, que il se résolut à garder et deffendre ce ioly ioyau d’amour… Il luy baisoyt, avecques larmes dans les yeulx, ses bons cheveulx dorez, ses belles paupières, sa bouche rouge et fresche, et bien doulcement, de paour qu’elle ne s’esveiglast ! … Ce feut toute sa fruition, plaizirs muets qui luy brusloyent encores le cueur, sans que Blanche s’en esmouvast. Aussy déploura-t-il les neiges de sa vieillesse effeuillée, le paouvre bonhomme, et il veit bien que Dieu s’estoyt amusé à luy donner des noix quand il n’avoyt plus de dents.


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