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LA BELLE IMPÉRIA MARIÉE.

pour ce venoyt d’estre envoyé à Rome à ceste fin d’advancer les négociations maieures dont les historiens ont amplement escript en leurs livres. Ores, s’il n’avoyt rien à luy, le paouvre mignon l’Isle-Adam se fioyt sur ung si bon commencement. Il estoyt miesvre de taille, ains torné droict comme une columne, brun avecques des yeulx noirs qui soleilloyent et une vraye barbe de vieulx légat à qui l’on ne pouvoyt rien vendre ; ains, par-dessus sa finesse, il avoyt ung air d’enfant naïf qui le faisoyt aymable et gentil comme petite fille rieuse. Dès que cettuy gentilhomme se pourmena chez elle, et qu’elle le veit, madame Impéria se sentit mordue par une phantaisie supérieure qui lui pinça véhémentement son luth, et y feit rendre ung son que elle n’avoyt point entendu de long temps. Aussi feut-elle tant enivrée d’amour vraye à la veue de ceste frescheur de ieunesse, que, n’estoyt son impériale maiesté, elle eust été baiser ces bonnes ioues qui reluysoyent comme petites pommes. Ores, sçaichez cecy : que les femmes dictes preudes et dames à cottes armoriées ignorent de tout poynct la nature de l’homme, pour ce que elles se tiennent à ung seul, comme la royne de France, qui cuydoit tous les hommes estre punays, le Roy l’estant ; ains une haulte courtizane comme estoyt madame Impéria cognoyssoyt l’homme à fund, pour ce que elle en avoyt manié un grant numbre. En son réduict, ung chacun n’estoyt pas plus honteux que ung chien qui roussecaille sa mère, et se monstroyt comme il estoyt, se disant que il ne la verroyt point ung long temps. Ayant souvent déplouré cette subiection, par aulcunes foys elle disoyt que elle estoyt plus tost ung souffre-plaisir que ung souffre-douleur. Là estoyt l’envers de sa vie. Faictes estat que besoing estoyt souvent à ung amoureux de la charge d’ung mulet en escuz pour s’annuicter en son lict, encores que le braguard feust réduict à se couper la gorge pour ung reffuz. Doncques, pour elle, la feste feut d’esprouver phantaisie de ieunesse pareille à celle que elle eut pour ce petit prebstre, dont le Conte est en teste de ces Dixains ; mais, pour ce que son aage estoyt plus advancé que dans ce ioly temps, l’amour feut aussy plus asprement estably en elle, et veit bien que il estoyt de la nature du feu, veu que il ne tarda point à se faire sentir ; de faict, elle souffrit en sa peau comme chat qu’on escorche, et tant, que elle eut envie de saulter à ce gentilhomme et l’emporter en son lict comme faict ung milan d’une proye ; ains se contint en ses iuppes, et à grant poine. Alors que