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LA BELLE IMPÉRIA MARIÉE.

tions grecques et latines, que la beaulté s’amoindrissoyt par tels pleurs et marrisson, et que par la porte des chagrins se glissoyent les rides. Ceste proposition, confirmée par les docteurs en controverse du Sacré Collège, eut pour effect de faire ouvrir le palais dès la vesprée de ce iour. Les ieunes cardinaulx, les envoyez des pays estranges, ceulx qui avoyent de grans biens et les principaulx de ceste dicte ville de Rome vindrent, encombrèrent les salles et menèrent une maistresse feste ; le menu populaire alluma feux de ioye ; par ainsy, tout célébra le retourner de la Royne des plaisirs à son ouvraige, car elle estoyt en cettuy temps la souveraine des amours. Les manouvriers en tout art l’aymoyent moult, pour ce que elle despendoyt de notables sommes pour édifier une ecclise en ladicte ville, où se voyoyt le tumbeau de la Théodore, lequel feut destruict au sac de Rome, lorsque mourut le traistre connestable de Bourbon, pour ce que ceste saincte fille y feut mise en ung cercueil d’argent massif et doré, que voulurent avoir les damnez souldards. Ceste basilicque cousta, dict-on, plus que la pyramide bastie iadis par la dame Rhodopa, courtizane ægyptiacque, dix-huict cents ans avant la venue de nostre divin Saulveur, laquelle tesmoingne de l’anticquité de ce plaisant mestier, combien chier payoyent la ioye les saiges Ægyptiacques, et combien tout s’en va diminuant, veu que pour ung teston vous avez une chemisée de chair blanche en la rue du Petit-Heuleu, à Paris. Est-ce pas une abomination ?

Oncques ne apparut si belle madame Impéria que durant ceste prime feste après son deuil. Tous les princes, cardinaulx et aultres disoyent que elle estoyt digne des hommaiges de la terre entière, laquelle se treuvoyt représentée auprès d’elle par ung seigneur de chascun des pays cogneus, et, par ainsy, feust amplement demonstré que la beaulté estoyt en tous lieux la royne de toutes chouses. L’envoyé du roy de France, lequel estoyt ung cadet de la maison de l’Isle-Adam, vint, sur le tard, encores que il n’eust oncques veu madame Impéria, et feust trez curieux de la veoir. Ce estoyt ung ioly ieune chevalier, qui avoyt plu moult au roy de France, en la Court duquel il avoyt une mye que il aymoyt avecques une tendresse infinie, laquelle estoyt une fille de monsieur de Montmorency, seigneur de qui les domaines avoisinoyent ceulx de la maison de l’Isle-Adam. A cettuy cadet desnué de tout poinct le Roy avoyt baillé aulcunes missions en la duchié de Milan, desquelles il s’estoyt tant prudemment acquitté, que