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LA FORTUNE EST TOUSIOURS FEMELLE.

Lendemain, le Venitien bailla ung beau genest à son amy Gauttier, item une aumosnière pleine de bezans, fines chausses de soye, pourpoinct de veloux parfilé d’or, mantel brodé, lesquels vestemens rehaulsèrent sa bonne mine et mirent ses beaultez tant en lumière, que le Venitien iugea que il emboiseroyt toutes les dames. Ses serviteurs receurent l’ordre d’obéir à ce Gauttier comme à luy-mesme, si bien que ces dicts serviteurs cuydèrent leur maistre avoir esté à la pesche et avoir prins ce Françoys. Puis les deux amys feirent leur entrée au dict Palerme, à l’heure où le prince et la princesse se pourmenoyent. Pezare présenta glorieusement son amy le Françoys en vantant ses mérites, et luy moyenna si gracieux accueil, que Leufroid le retint à souper. Le chevalier françoys observa la Court d’ung preude œil, et y descouvrit ung nombre infiny de curieuses menées. Si le Roy estoyt ung vaillant et beau prince, la princesse estoyt une Hespaignole de haulte température, la plus belle et la plus digne de sa Court, ains ung petit mélancholisée. A ceste veue, le Tourangeau existima que elle estoyt petitement servie par le Roy, pour ce que la loy de Touraine est que la ioye du visaige vient de la ioye de l’aultre. Pezare indicqua trez esraument à son amy Gauttier plusieurs dames auxquelles Leufroid se prestoyt complaisamment, lesquelles ialousoyent fort et faisoyent assault à qui l’auroyt en ung tournoy de guallanteries et merveilleuses inventions femelles. De tout cecy feut conclud par Gauttier que le prince paillardoyt moult en sa Court, encores que il eust la plus belle femme du monde, et s’occupoyt à douaner toutes les dames de Sicile, à ceste fin de placer son cheval en leurs escuyeries, luy varier