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CONTES DROLATIQUES.

Françoys, pour ce que ie me fie en ung poinct qui me baillera tout ce que ie soubhaite, ie veulx recognoistre vostre courtoisie, chier chevalier Pezare. Vous verrez que vous serez tost l’obligé du chevalier Gauttier de Montsoreau, gentilhomme du doulx pays de Touraine.

— Possédez-vous aulcune relicque en laquelle réside vostre heur ? feit le Venitien.

— Ung talisman baillé par ma bonne mère, feit le Tourangeau, avecques lequel se bastissent et se desmolissent aussy les chasteaulx et citez, ung martel à battre monnoyes, ung remède à guarrir tous maulx, ung baston de voyaige qui se met en gaige et vault moult au prest, ung maistre outil qui opère des merveilleuses cizeleures en toutes forges sans y faire aulcun bruict.

— Hé ! par sainct Marc ! vous avez ung mystère en vostre haubert.

— Non, feit le chevalier françoys, ce est une chouse trez naturelle et que vécy.

Soubdain, en se levant de table pour soy mettre au lict, Gauttier monstra le plus bel outil à faire la ioye que le Venitien eust oncques veu.

— Cecy, dit le Françoys alors que tous deux se couchièrent dedans le lict suyvant les coustumes de cettuy temps, aplanit tous obstacles, en se rendant maistre des cueurs féminins, et veu que les dames sont roynes en ceste Court, vostre amy Gauttier y regnera tost.

Le Venitien demoura dans ung maieur estomirement à la veue des beaultez absconces dudict Gauttier, qui de faict avoyt esté merveilleusement bien estably par sa mère et peut-estre aussy par son père, et debvoyt par ainsy triumpher de tout, veu que se ioingnoyt à ceste perfection de corporence ung esperit de ieune paige et une saigesse de vieulx diable. Adoncques ils se iurèrent ung parfaict compaignonnaige, y comptant pour rien ung cueur de femme, se iurant d’estre ung seul et mesme pensier, comme si leurs testes feussent chaussées d’ung mesme mortier, et dormirent dessus le mesme aureiller, trez-enchantez de ceste fraternité. Ce estoyt ainsy que se passoyent les chouses en cettuy temps.