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BERTHE LA REPENTIE.

enfers, et livra ceste triple ame au diable, en luy disant que il luy estoyt licite de la tormenter durant le demourant de ses iours, en luy monstrant Berthe, Iehan et l’enfant. Le diable, qui, par le bon vouloir de Dieu, est sire de tout mal, dit à l’archange que il s’acquitteroyt dudict messaige. Durant ceste ordonnance du Ciel la vie alloyt son train cy-bas. La gentille dame de Bastarnay bailla le plus bel enfant du monde au sire Imbert, ung garson de lys et de roses, de haulte compréhension comme ung petit Iésus, riant et malicieux comme ung Amour payen, devenant plus beau de iour en iour, tandis que l’aisné tournoyt au cinge comme son père, auquel il ressembloyt à faire paour. Le darrenier estoyt brillant comme une estoile, semblable au père et à la mère, desquels les perfections corporelles et spirituelles avoyent produict ung meslange de graaces inclytes et d’entendement merveilleux. Voyant ce perpétuel miracle de chair et d’esperit meslez en conditions quidditatifves, Bastarnay disoyt que pour son salut éterne il vouldroyt pouvoir faire du cadet l’aisné : qu’il adviseroyt par la protection du Roy. Berthe ne sçavoyt comment se comporter, veu que elle adoroyt l’enfant de Iehan et ne pouvoyt qu’aymer foiblement l’aultre, que néantmoins elle protégeoyt contre les intentions maulvaises de ce bonhomme de Bastarnay. Berthe, contente du chemin que prenoyent les chouses, se chaussa la conscience de menterie, et crut que tout estoyt finé, veu que douze années s’escoulèrent sans aultre meslange que le doubte qui, par aulcunes foys, empoisonnoyt sa ioye. Par chascun an, suyvant la foy baillée, le moyne de Marmoustier, lequel estoyt incogneu de tous, horsmis la meschine, venoyt passer ung iour plein au chasteau pour veoir son enfant, encores que Berthe eust à plusieurs foys supplié frère Iehan, son amy, de renoncer à son droict. Ains Iean luy monstroyt l’enfant, en luy disant : — Tu le vois tous les iours de l’an, et moy ie n’en ay qu’un seul !

Lors la paouvre mère ne treuvoyt aulcun mot à respondre à ceste parole.

Quelques mois avant la darrenière rebellion de monseigneur Loys contre son père, l’enfant marchoyt sur les talons de sa douziesme année, et paroissoyt debvoir estre un grant clerc, tant il estoyt sçavant sur toute science. Oncques le vieux Bastarnay ne se estoyt sentu plus ioyeulx d’estre père, et se résolvoyt d’emmener avecques luy son fils à la Court de Bourgongne, où le duc Charles promettoyt faire à ce bien-aymé fils ung estat à estre