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CONTES DROLATIQUES.

Le propre du véritable amour est une certaine concordance qui faict que tant plus l’ung donne, tant plus l’aultre reçoit, et réciproquement, comme dans certains cas de la mathématicque où les chouses se multiplient par elles-mesmes à l’infiny. Cettuy problesme n’est explicable aux gens de petite science que par ce que ils voyent ez glaces de Venise, où s’aperçoivent des milliers de figures produictes par une mesme. Ainsy dans les cueurs de deux amans, se multiplient les roses du plaisir en une profundeur caressante, qui les faict s’estomirer que tant de ioye y tienne sans que rien ne crève. Berthe et Iehan auroyent voulu que ceste nuict feust la darrenière de leurs iours, et cuydèrent, à la défaillante langueur qui se coula en leurs veines, que l’amour avoyt résolu de les emporter sur les aësles d’ung baiser mortifère : ains ils tinrent bon, maulgré ces multiplications infinies.

Lendemain, veu que le retourner de messire Imbert de Bastarnay estoyt prouche, la damoiselle Sylvie deut se departir. La paouvre fille laissa sa cousine, en l’arrouzant de pleurs et de baisers : ce estoyt tousiours son darrenier, et le darrenier alla iusqu’à la vesprée. Puis, force feut de la laisser, et il la laissa, quoique le sang de son cueur se figeast comme cire tombée d’ung cierge paschal. Suyvant sa promesse, il se deporta vers Marmoustier, où il entra vers la unziesme heure du iour, et feut mis avecques les novices. Il feut dict à monseigneur de Bastarnay que Sylvie estoyt retournée avecques le mylourd, ce qui signifie le seigneur en languaige d’Angleterre, et par ainsy Berthe ne mentit point en cecy.

La ioye de son mary quand il veit Berthe sans ceincture, veu que elle ne pouvoyt la porter, tant elle estoyt bien engrossée, commença le martyre de ceste paouvre femme, qui ne sçavoyt point trupher, et qui, pour chaque parole faulse, alloyt à son prie-Dieu, plouroyt son sang en eaue par les yeulx, se fondoyt en prières et se recommandoyt à messieurs les saincts du paradiz. Il advint que elle cria si fort à Dieu, que le Seigneur l’entendit, pour ce que il entend tout, il entend et les pierres qui roulent sous les eaux, et les paouvres qui geingnent et les mousches qui volent par les aërs. Il est bon que vous sçaichiez cecy, aultrement vous n’adiouxteriez point foy à ce qui advint. Dieu commanda à l’archange Michel de faire faire à ceste pénitente son enfer sur terre, à ceste fin que elle entrast sans conteste dans le paradiz. Adonques sainct Michel descendit des cieulx sur le porche des