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BERTHE LA REPENTIE.

— Si vous m’aviez bien aymée, vous ne me auriez pas deffaicte comme ie le suis, veu que ie mourrai plutost que de estre reprouchée par mon espoux.

— Mourrez-vous ? feit-il.

— Pour le seur, feit-elle.

— Doncques, si ie suis icy percé de mille coups, vous aurez la graace de vostre mary, auquel vous direz que, si vostre innocence feut surprinse, vous aurez vengé son honneur en tuant cil qui vous ha trompée. Et ce sera pour moy l’heur le plus grant qui me puisse advenir de mourir pour vous, dès que vous refrongnez à vivre pour moy.

En oyant ce tendre discours dict avecques larmes, Berthe laschia le fer ; Iehan courut sus, et se donna du poignard dedans le sein, disant : — Tel heur se doibt payer par la mort !

Et tomba roide.

Berthe appella sa meschine, tant elle fut effrayée. La meschine vint, et feut notablement effrayée aussy la meschine de veoir ung homme navré dedans la chambre de Madame et Madame qui le soustenoyt, disant : « Que avez-vous faict, mon amy ? » pour ce que elle le cuydoyt mort, et se ramentevoyt sa ioye excessifve, et combien debvoyt estre beau Iehan pour que ung chascun, veoire Imbert, l’existimast fille. Dans sa douleur, elle racontoyt tout à sa meschine, plourant et cryant que ce estoyt bien assez d’avoir sur le cueur la vie d’ung enfant, sans avoir aussy le trespas d’ung homme. Oyant cecy, le paouvre amoureux se benda d’ouvrir l’œil et n’en monstra que le blanc, encores petitement.

— Ha ! madame, ne cryons point, dit la meschine, ne perdons point le sens, et saulvons ce ioly chevalier. Ie vais querir la Fallotte pour ne mettre aulcun physician ni maistre myre en cettuy secret, et, veu que elle est sorcière, elle fera pour plaire à Madame le miracle de boucher ceste blessure sans que il y paroisse.