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CONTES DRÔLATIQUES.

— Ha ! cousine, les anges sont advenus ! mais tant belle est leur musicque, que ie n’entends plus, et tant flambent leurs gects lumineux, que mes yeux se closent !

De faict, elle se pasma soubz le faix des ioyes de l’amour qui esclattèrent en elle comme les plus haultes gammes de l’orgue, qui soleillèrent comme la plus magnificque aurore, qui se coulèrent en ses veines comme le plus fin musc, et laschièrent les liens de la vie en la baillant à ung enfant d’amour, lequel en se logiant faict ung certain tapaige plus remuant que tout aultre. En fin de tout, Berthe cuyda estre à mesme des cieulx du paradis, tant bien elle se treuvoyt, et se resveigla de ce beau resve dedans les bras de Iehan disant :

— Que n’aye esté mariée en Angleterre !

— Ma belle maistresse, feit Iehan, qui oncques ne perceut tant liesse, tu es mariée à moy en France, où les chouses vont encores mieulx, veu que ie suis ung homme qui pour toy donneroyt mille vies, s’il les avoyt !

La paouvre Berthe gecta un cry si vif, que il perça les murs, et saulta hors de son lict comme eust faict une sauterelle de la playe d’Ægypte. Elle se laissa tomber sur ses genoilz à son prie-Dieu, ioingnit les mains et ploura plus de perles que iamais n’en porta la Marie-Magdeleine : — Ha ! ie suis morte, disoyt-elle. Ie suis truphée par ung diable qui a prins visaige d’ange. Ie suis perdue, ie suis mère, pour le seur, d’un bel enfant, sans estre plus coupable que vous, madame la Vierge. Implorez ma graace de Dieu, si ie n’ay celle des hommes sur la terre, ou faictes-moy mourir, à ceste fin que ie ne rougisse point devant monseigneur et maistre.

Oyant que elle ne disoyt rien de maulvais contre luy, Iehan se leva tout pantois de voir Berthe prendre ainsy ceste belle dance à deux. Ains, premier que elle entendit son Gabriel se mouvoir, elle se dressa en pieds vifvement, le resguarda d’un visaige en pleurs et les yeulx allumez de saincte cholère, ce qui les feit moult beaulx à veoir : — Si vous advancez ung seul pas devers moy, feit-elle, ie en feray ung vers la mort !

Et elle print ung poignard à dames.

Sur ce, tant navrante estoyt la tragicque veue de sa poine, que Iehan luy respondit : — Ce ne est point à toy, ains à moy, de mourir, ma chière belle mye, plus aymée que femme le sera oncques sur ceste terre.