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SUR LE MOYNE AMADOR.

du paouvre Amador. Alors que les menées feurent pratiquées entre eulx, la bonne fillaude, qui haïoyt les religieulx pour faire plaisir à son maistre, vint au dict moyne, qui estoyt soubz le tect aux gorets, en se fardant la mine d’accortise, à ceste fin de le trupher en toute perfection.

— Mon père, feit-elle, le seigneur de léans ha honte de laisser à la pluye ung serviteur de Dieu quand il y ha place en la salle, bon feu soubz le manteau de l’aatre, et que la table est preste. Ie vous convie, en son nom, et en celluy de la dame du chastel, à entrer céans.

— Ie mercie la dame et le seigneur, non de leur hospice, qui est chouse chrestienne, mais bien d’avoir pour legat devers moy, paouvre pécheur, ung ange de beaultez si mignonne, que ie cuyde veoir la vierge de nostre autel.

En disant ce, Amador leva le nez et tizonna, par deux flammesches qui petillèrent de ses yeulx allumez, la iolie meschine, laquelle ne le treuva ny tant laid, ny tant ord, ny tant bestial. En grimpant le perron avecques la Perrotte, Amador receut ez nez, badigoinces et aultres lieux de son visaige, un coup de fouet qui luy feit veoir tous les cierges du Magnificat, tant feut-il bien appliqué au moyne par le seigneur de Candé, en train de chastier ses levriers et qui feignit de ne pas veoir le moyne. Il requit Amador de luy pardonner ce mal, et poursuyvit les chiens, lesquels avoient faict cheoir son hoste. La rieuse meschine, qui sçavoyt la chouse, se estoyt dextrement rengée. Voyant ce traffic, Amador soupçonna l’accointance du chevalier à Perrotte et de Perrotte au chevalier, desquels possible estoyt que les garses de la vallée luy eussent gazouillé quelque chouse aux lavoueres. Des gens qui estoyent lors en la salle, aulcun ne feit place à l’homme de Dieu, lequel demoura dans les ventositez de la porte et de la croisée, où il gela iusques en l’instant que le sire de Candé, madame sa femme et sa vieille sœur la damoiselle de Candé, qui gouvernoyt la ieune héritière de la maison, laquelle avoyt d’aage seize années environ, vindrent se seoir sur leurs chaires en hault de la table, loing des gens, suyvant la méthode anticque, de laquelle en ce temps se déportent les seigneurs, bien à tort. Le sire de Candé, nullement record du moyne, le laissa s’attabler au bas bout, en ung coin où deux meschans garsons avoyent charge de le presser horriblement. De faict, lesdits serviteurs luy gehennèrent les pieds, le