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PERSEVERANCE D’AMOUR.

guerdon de ma vie pour vous oster de poyne. Vécy comme. En m’enquérant de tout, i’ai treuvé ung ioinct pour frauder les droicts de l’abbaye et vous donner toutes les felicitez que vous attendez de ma fruition. Le iuge ecclésiastique ha dict que, ne devenant homme de corps que par accession, et pour ce que vous n’estiez pas né homme de corps, vostre servaige cesseroyt avecques la cause qui vous faisoyt serf. Ores doncques, si vous m’aymez plus que tout, perdez vos biens pour acquérir nostre bonheur, et m’espousez. Puis, quand vous aurez iouy de moy, et que vous m’aurez accollée tant et plus, par avant que ie n’aye de lignée, ie m’occiray voulentairement, et par ainsy redeviendrez libre. Au moins ce sera ung pourchaz pour lequel vous aurez le Roy nostre Sire, qui vous veult, dit-on, mille biens. Et, sans doubte aulcun, par Dieu me sera pardoint ceste mort que i’auray faicte en veue de délivrer mon seigneur espoux.

— Ma chiere Tiennette, s’escria l’orphebvre, tout est dict. Ie seray homme de corps, et tu vivras pour faire mon heur aussy long que mes iours. En ta compaignie, les plus dures chaisnes ne me seront iamais poisantes, et peu me chault d’estre sans deniers à moy, pour ce que toutes mes richesses sont en ton cueur, et mon plaisir unicque en ta doulce corporence. Ie me fie en monsieur sainct Eloy, qui daignera dans ceste misère gecter des yeulx pitoyables sur nous, et nous guarantira de tous maulx. Ores, ie vais de ce pas chez ung escripvain pour faire dresser les chartres et contrats. Au moins, chiere fleur de mes iours, seras-tu bravement vestue, bien logiée et servie comme une royne pendant ta vie, veu que le sieur abbé nous laisse la iouissance de mes acquests.

Tiennette, plourant, riant, se deffendit de son heur, et vouloyt mourir pour ne point réduire en servaige ung homme libre ; mais le bon Anseau luy dit de si doulces paroles et la menassa si bien de la suyvre en la tumbe, que elle s’accorda pour ce dict mariaige, songiant que elle pourroyt tousiours se tuer après avoir gousté aux ioyes de l’amour. Alors que feut sceue par la ville la soubmission du Tourangeau, qui pour sa mye quittoyt son avoir et sa liberté, ung chascun le vouloyt veoir. Les dames de la Court s’encombroyent de ioyaulx pour parler à luy ; et il luy tomboyt des nuées force femmes pour le temps pendant lequel il en avoyt esté privé. Mais si aulcunes approuchoyent Tiennette en beaulté, nulle n’avoyt son cueur. Brief, en entendant sonner l’heure du