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CONTES DROLATIQUES.

pierreries unicque en sa fasson, luy promit assistance, feit seller son cheval et une hacquenée pour l’orphebvre, avecques lequel il vint aussytost en l’abbaye, et demanda l’abbé, qui estoyt monseigneur Hugon de Sennecterre, lequel avoyt d’aage nonante et trois années. Lors estant venu en la salle avecques l’orphebvre bien estouffé d’attendre sa sentence, le chamberlan pria l’abbé Hugon de luy octroyer par advance une chouse facile à octroyer qui luy seroyt plaisante. A quoy le sire abbé respondit en branlant le chief que les Canons luy faisoyent inhibitions et deffenses d’engagier ainsy sa foy.

— Vécy, mon chier père, dit le chamberlan, l’orphebvre de la Court qui ha conceu ung grant amour pour une fille de corps appartenant à vostre abbaye, et ie vous requiers, à charge de vous complaire en celluy de vos dezirs que vous vouldrez veoir accomply, de franchir ceste fille.

— Quelle est-elle ? demanda l’abbé au bourgeoys.

— Elle ha nom Tiennette, dit timidement l’orphebvre.

— Ho ! ho ! feit le bon vieil Hugon en soubriant. L’appast nous ha doncques tiré ung beau poisson. Cecy est un cas grave, et ie ne sçauroys le résouldre seul.

— Ie sçays, mon père, ce que vault ceste parole, feit le chamberlan en fronssant les sourcils.

— Biau sire, feit l’abbé, sçavez-vous ce que vault la fille ?

L’abbé commanda que l’on allast quérir Tiennette, en disant à son clerc de la vestir de beaulx habits et de la faire la plus brave que il se pourroyt.

— Vostre amour est en dangier, feit le chamberlan à l’orphebvre en le tirant à part. Quittez cette phantaisie. Vous rencontrerez partout, mesme en la Court, des femmes de bien, ieunes et iolies, qui vous espouseront voulentiers. Pour ce, si besoing est, le Roy vous aydera dans quelque acquest de seigneurie qui, par force de temps, vous feroyt faire une bonne maison. Estes-vous pas assez bien guarny d’escuz pour devenir souche de quelque noble lignée ?

— Ie ne sçauroys, monseigneur, respondit Anseau. Ie ay faict une emprinse.

— Doncques voyez lors à achepter la manumission de ceste fille, ie cognoys les moynes. Avecques eux monnoye faict tout.

— Monseigneur, feit l’orphebvre à l’abbé revenant vers luy, vous avez charge et cure de représenter ici-bas la bonté de Dieu,