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CONTES DROLATIQUES.

Et doncques, l’orphebvre, tousiours estably à son ouvrouer, brunissant l’or, chauffant l’argent, ne pouvoyt aulcunement chauffer l’amour, ne brunir et faire resplendir ses phantaisies, ne fanfreluchier, parader, se dissiper en cingeries, ne se mettre en queste d’ung moule à aureilles. Ores, veu que à Paris pucelles ne tombent pas plus au lict des garsons que il ne pleut des paons rostis ez rues, encores que ces garsons soyent orphebvres royaux, le Tourangeau eut l’advantaige d’avoir, comme ha esté dessus dict, ung coquebin dans sa chemise. Cependant le bourgeoys ne pouvoyt avoir les yeulz clos sur les advantaiges de nature dont faisoyent estat et se treuvoyent amplement fournies les dames et aussy les bourgeoyses avecques lesquelles il debattoyt la valeur de ses ioyaulx. Aussy, souvent, en escoutant les gentils proupos des femmes qui vouloyent l’emboizer et le mignottoyent pour en obtenir quelque doulceur, bon Tourangeau s’en retournoyt-il par les rues, resveur comme ung poëte, plus desespéré que ung coucou sans nid, et se disoyt lors en luy-mesme : — Ie debvroys me munir d’une femme. Elle balyeroyt le logiz, me tiendroyt les plats chaulds, ployeroyt les toiles, me racousteroyt, chanteroyt ioyeulsement dedans la maison, me tourmenteroyt pour me faire faire tout à son goust léans, me diroyt comme elles disent toutes à leurs marys, quand elles veulent ung ioyau : « Hé bien, mon mignon, vois doncques cecy, n’est-ce pas gentil ? » Et ung chascun, de par le quartier, songeroyt à ma femme et penseroyt de moy : « Voilà ung homme heureux. » Puis se marioyt, faisoyt les nopces, dodinoyt madamoiselle l’orphebvre, la vestoyt superbement, luy donnoyt une chaisne d’or, l’aymoyt de la teste aux pieds, luy quittoyt le parfaict gouvernement du mesnaige, sauf l’espargne, la mettoyt en sa chambre d’en hault, bien verrée, nattée, tendue de tapisseries, avecques ung bahut mirificque, dedans ung lict oultre large, à columnes torses, à rideaulx de cental cytrin ; luy acheptoyt force beaulx mirouëres, et avoyt tousiours ung dixain d’enfans d’elle et de luy quand il arrivoyt à son logiz. Ains là, femme et enfans s’évaporoyent en martelaiges ; il transfiguroyt ses imaginations melancholieuses en dessins phantasques, fassonnoyt ses pensiers d’amour en ioyaulx drolaticques qui plaisoyent moult à ses achepteurs, lesquels ignoroyent combien il y avoyt de femmes et d’enfants perdus dans les pièces d’orphebvrerie du bon homme, qui, tant plus avoyt de talent en son art ; tant plus se desbiffoyt. Ores, si Dieu ne l’avoyt prins en pitié, seroyt foryssu de ce monde sans