Page:Balzac - Contes drolatiques.djvu/467

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
439
PERSEVERANCE D’AMOUR.

toutes ses cholères, tenir sa nature en laisse, avoir le doigt de Dieu et la queue du diable, guerdonner la mère, guerdonner la cousine, guerdonner la meschine ; brief, tousiours se faire une trongne plaisante, faulte de quoy la femelle s’eschappe et vous plante là, sans dire une seule raison chrestienne. En fin de tout, l’amoureulx de la plus clémente garse que Dieu ayt faicte en ung moment de belle humeur auroyt-il parlé comme ung bon livre, saulté comme une puce, viré comme ung dez, musicqué comme le roy David, faict les cent mille tourdions de l’enfer, et basty pour ceste dessus dicte femme l’ordre corinthien des columnes du diable, s’il fault à la chouse espéciale et tenue secrette qui plaist entre toutes à sa dame, que souvent elle ne sçayt elle-mesme, et que il est besoing de sçavoir, la garse le quitte comme une lèpre rouge. Elle est dans son droict. Nul ne sçauroyt y treuver maille à reprendre. En ceste occurrence, aulcuns hommes deviennent grimaulds, faschiez, affollez plus que vous ne pourriez imaginer. Voire mesmes, plusieurs se sont occiz pour ce revirement de iuppe. En cecy, l’homme se distingue de la beste, veu que aulcun animal ne ha perdu l’esperit par desespoir d’amour ; ce qui prouve d’abundant que les bestes n’ont point d’ame. Le mestier d’amoureux est donc ung mestier de batteleur, de souldard, de charlatan, de baladin, de prince, de niais, de roy, d’oisif, de moyne, de duppe, de traisne-chausses, de menteur, de vantard, de sycophante, de teste vuyde, de chasse-vent, de gaule-festu, de congne-rien, de drolle ; ung mestier dont s’est abstenu Iésus, et que, en son imitation, desdaignent les gens de hault entendement ; mestier auquel ung homme de valeur est requis de despendre, avant toute chouse, son temps, sa vie, son sang, ses meilleures paroles, oultre son cueur, son ame et sa cervelle, dont toutes les femelles sont cruellement affriandées, pour ce que, dès que leur langue va et vient, elles se disent l’une à l’aultre que, si elles n’ont pas tout d’ung homme, elles n’en ont rien. Comptez mesmes que il se rencontre des cingesses qui fronssent leurs sourcilz et grondent encores que ung homme faict les cent coups pour elles, à ceste fin de s’enquerir s’il y en ha cent et ung, veu que, en tout, elles veulent le plus, par esperit de conqueste et tyrannie. Et ceste haulte iurisprudence ha esté tousiours en vigueur soubz la coustume de Paris, où les femmes reçoivent plus de sel au baptesme qu’en aulcun lieu du monde, et par ainsy sont malicieuses de naissance.