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CONTES DROLATIQUES.

ung pavillon de pourpre et de soyeries, plein de perfums et de fleurs, où elle s’esbaudissoyt vestue superbement, sans avoir ni ferremens au col, ni chaisne aux pieds. Ie me laissay despouiller de mes vestemens ecclésiasticques, et feus mis en ung bain de senteur. Puis le démon me couvrit d’une robe sarrazine, me servit ung festin de metz rares, contenus ez vases prétieux, coupes d’or, vins d’Asie, chants et musicques merveilleuses, et mille louanges qui me chatouillèrent l’ame par les aureilles. A mes costez se tenoyt tousiours ledict succube, et sa doulce accointance détestable me distilloyt nouvelles ardeurs ez membres. Mon ange guardien me quitta. Lors ie vivoys par la lueur espouvantable des yeulx de la Morisque, aspiroys à la chaulde estraincte de ce mignon corps, vouloys tousiours sentir ses lèvres rouges que ie cuydoys naturelles, et n’avoys nulle paour de la morsure de ses dents qui attirent au plus profund de l’enfer. Ie me plaisoys à esprouver la doulceur sans pareilles de ses mains, sans songier que ce estoyent des griphes immundes. Bref, ie fretilloys comme ung espoux voulant aller à sa fiancée, sans songier que ceste espousée estoyt la mort éternelle. Ie n’avoys nul soucy des chouses de ce monde, ni des interests de Dieu, ne resvant que d’amour, des bons tettins de ceste femme qui me faisoyent arser, et de sa porte d’enfer en laquelle ie cuysoys de me gecter. Las ! mes frères, durant trois iours et trois nuicts, ie fus ainsy contrainct de besongner, sans pouvoir tarir la source qui fluoyt de mes reins, en lesquels plongioyent comme deux picques les mains de ce succube, lesquelles communicquoyent à ma paouvre vieillesse, à mes os desseichiez, ie ne sais quelle sueur d’amour. En prime abord, cettuy démon, pour m’attirer à elle, feit couler en moy comme une doulceur de laict ; puis vindrent des félicitez poignantes qui me picquèrent, comme ung cent d’esguilles, les os, la mouelle, la cervelle, les nerfs. Lors, à ce ieu s’enflammèrent les chouses absconses de ma teste, mon sang, mes nerfs, ma chair, mes os ; puis ie bruslay du vray feu de l’enfer, qui me causa des tenaillons en mes ioinctures et une incrédible, intolérable, escueurante volupté qui laschioyt les liens de ma vie. Les cheveulx de cettuy démon, de quoi estoyt enveloppé mon paouvre corps, me versoyent une rouzée de flamme, et ie sentoys chaque tresse comme ung baston de gril rouge. En ceste délectation mortelle, ie voyoys le visaige ardent dudict succube, qui rioyt, me disoyt mille paroles aguassantes : comme quoy i’estoys son che-