Page:Balzac - Contes drolatiques.djvu/389

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
361
LE SUCCUBE.

lette en son logiz, où i’ay despendu la plus grant part de mes iournées, heureux de la veoir et l’entendre. Ores, si mangioys-ie bien près d’elle, partageant l’aër qui entroyt en son gozier, la lumière qui esclairoyt ses beaulx yeulx, treuvant à ce mestier plus de ioye que n’en ont les seigneurs du paradiz. Esleue par moy pour estre à tousiours ma dame ; choisie pour estre, ung iour eschéant, ma colombe, ma femme et unicque amye, moy, paouvre fol, n’ay receu d’elle aulcun à-compte sur les ioyes advenir, ains, au contraire, mille vertueux advis : comme quoy debvoys acquérir renom de bon chevalier, devenir ung homme fort, beau, ne rien craindre, fors Dieu ; honorer les dames, n’en servir que une, et les aymer en mémoire d’icelle ; puis, alors que seroys afforty par les travaulx de la guerre, si son cueur plaisoyt tousiours au mien, en ce temps seulement elle seroyt à moy, pour ce que elle sçauroyt m’attendre en m’aymant trez fort…

En ce disant, ha plouré le ieune sire Hugues, et ha, plourant, adiouxté :

Que, pensant à ceste gracieuse et foyble femme dont les bras luy sembloyent naguères trop mignons pour soustenir le légier poids de ses chaisnes d’or, il ne avoyt sceu se contenir en songiant aux fers qui la meurdrissoyent et aux misères dont elle estoyt traistreusement enchargiée ; et que, de ce, estoyt venue sa rebellion. Et que il avoyt licence de dire son douloir en face la Iustice, pour ce que sa vie estoyt si bien liée à celle de ceste délicieuse maistresse et amye, que, le iour où il luy adviendroyt mal, il mourroyt pour le seur.

Et ha ledict ieune homme noble vociféré mille aultres louanges dudict démon, lesquels tesmoignent la véhémente envousterie praticquée à son esguard et prouvent d’abundant la vie abominable, immunde, incurable, et les frauduleuses sorcelleries auxquelles il est présentement soubmis, ce dont iugera nostre seigneur l’archevesque, à ceste fin de saulver, par exorcismes et pénitences, ceste ieune ame des piéges de l’enfer, si le diable ne ha esté trop avant en icelle.

Puis avons remis ledict ieune homme ez mains du noble seigneur son père, après que par ledict Hugues ha esté recogneu l’Africquain estre le serviteur de l’accusée.


En huictiesme lieu, devant nous, ont les estaffiers de nostre seigneur l’archevesque, en grant honneur, amené trez-haulte