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CONTES DRÔLATIQUES.

la teste et la roue iaune en la place du cueur apparente en son vestement, suyvant les ordonnances ecclésiasticques et royales, ledict al Rastchild nous ha exhibé lettres patentes de dispenses octroyées par nostre seigneur le Roy et recogneues par le senneschal de Touraine et de Poictou.

Puis nous ha déclaré le dict iuif avoir, pour la dame logiée en la maison de l’hostelier Tortebras, faict grant négoce, à elle vendu chandelliers d’or à plusieurs branches mignonnement engravez ; plats d’argent vermeil ; hanaps enrichis de pierres, esmeraugdes et rubiz ; avoir pour elle tiré du Levant numbre d’estoffes prétieuses, tapis de Perse, soyeries et toiles fines ; enfin, chouses si magnificques, que aulcune royne de la chrestienté ne pouvoyt se dire si bien fournie de ioyaulx et d’ustensiles de mesnaige ; et que il y estoyt, pour sa part, de trois cent mille livres tournoys receues d’elles pour les raretez à l’achapt desquelles il se estoyt employé, comme fleurs des Indes, papeguays, oyseaulx, plumaiges, espices, vins de Grèce et diamans.

Requis par nous iuge de dire s’il luy avoyt fourny aulcuns ingrédiens de coniuration magicque, sang de nouveau-nez, grimoires, et toutes chouses généralement quelconques dont font usaige les sorcières, luy donnant licence d’advouer son cas, sans que, pour ce, il soit iamais recherché ne inquiété, ledict al Rastchild a iuré sa foy hebraïcque de ne faire aulcunement cettuy commerce. Puis ha dict estre engarrié en trop haults interests pour s’adonner à telles miesvreries, veu que il estoyt l’argentier de aulcuns seigneurs trez puissans, comme les marquis de Montferrat, roy d’Angleterre, roy de Chypre et Hiérusalem, comte de Provence, Messieurs de Venice et aultres gens d’Allemaigne ; avoir à luy des galéasses merchantes de toutes sortes, allant en Ægypte, soubz la foy du Soudan, et estre en ung traffic de chouses prétieuses d’or et d’argent, qui l’amenoyt souvent en la Monnoye de Tours. D’abundant, il ha dict tenir ladicte dame dont s’agit pour trez-léale, femme naturelle, la plus doulce de formes et la plus mignonne que il ayt veue. Que, sur son renom d’esperit diabolicque, mu par imagination farfallesque, et aussy pour ce que il estoyt féru d’elle, il luy avoyt, en ung iour où elle estoyt veufve, prouposé d’estre son guallant, ce qu’elle avoyt bien voulu.

Ores, quoique de ceste nuictée il se feust longtemps sentu les os disioincts et les reins conquassez, il ne avoyt point expérimenté, comme aulcuns disoyent, que qui tomboyt une foys là n’en