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CONTES DRÔLATIQUES.

sieur le cardinal de Lorraine, lequel emmena mondict chicquanous chez le duc son frère, où tous trois demourèrent à deviser, faisant belles promesses au sieur Avenelles, que ils laschèrent à grant poine, vers minuict, heure à laquelle il yssit secrettement du chasteau. En cettuy moment, les paiges du gentilhomme et tous ses gens faisoyent une medianoche endiablée, en l’honneur des nopces fortuites de leur maistre. Ores, advenant en plein regoubillonner, au milieu de l’yvresse et hocquets ioyeulx, le dessus dict Avenelles feut perforaminé de railleries, brocards, rires qui le feirent blesmir, alors que il advint en sa chambre où ne veit que la douegna. Ceste paouvre meschine voulut parler, mais l’advocat lui mit promptement le poing sur le gozier, et luy commanda silence par ung geste. Puis fouilla dedans sa malle et y print ung bon poignard. Alors que il le desguainoyt et mercyoit, ung franc, naïf, ioyeulx, amoureux, gentil, céleste esclat de rire, suyvy d’aulcunes paroles de facile compréhension coula par la trappe. Le rusé d’advocat, estaingnant sa chandelle, veit ez fentes du planchier, au deffault de cet huys extra-iudiciaire, une lumière qui luy descouvrit vaguement le mystère, veu qu’il recogneut la voix de sa femme et celle du combattant. Le mary print la meschine par le bras, et vint par les degrez, à pas de veloux, querant l’huys de la chambre où estoyent les amans, et ne faillit point à le treuver. Entendez bien que d’une horrificque ruade d’advocat il gecta bas la porte, et feut en ung sault dessus le lict où il surprint sa femme demy-nue aux bras du gentil-homme.

— Ah ! feit-elle.

L’amant, ayant évité le coup, voulut arracher le poignard aux mains du chicquanier, qui le tenoyt mie. Ores, en ceste lucte de vie et de mort, le mary se sentant empesché par son lieutenant qui l’enserroyt griefvement de ses doigts de fer, et mordu par sa femme qui le deschiroyt à belles dents, le rongioyt comme ung chien faict d’un os, il songia vifvement à mieulx assouvir sa cholère. Doncques ce diable nouvellement cornu commanda malicieusement en son patois à la meschine de lier les amoureux avecques les cordes de soye de la trappe, et gectant le poignard au loing, il ayda la douegna à les empiéger. Puis, la chouse ainsy faicte en ung tour de main, leur mit du linge en la bouche pour les empescher de crier et courut à son bon poignard, sans mot dire. En ce moment, entrèrent plusieurs officiers du duc