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CONTES DRÔLATIQUES.

plein le cueur à une honneste femme trop serrée ez liens du mariaige, ce qui la gehenne et tousiours l’incite à se desharnacher de la règle coniugale. Et faictes estat que s’affola bien le ieune gentilhomme de la bourgeoyse, dont l’amour muet luy parla secrettement, sans que le diable ni eulx ayent iamais sceu comment. Puis l’ung et l’autre eurent de tacites correspondances d’amour. D’abord l’advocate ne s’attorna plus que pour venir en l’ecclise, et tousiours y venoyt en nouvelles somptuositez. Puis, au lieu de songier à Dieu, et dont Dieu se fascha, pensoyt à son beau gentilhomme et, laissant les prières, s’adonnoyt au feu qui luy brusloyt le cueur et lui humectoyt les yeulx, les lèvres et tout, veu que ce feu se résould tousiours en eaue, et souvent disoyt-elle en soy : « Ha ! ie donneroys ma vie pour une seule accointance avecques ce ioly amant qui m’ayme ! » Souvent encores, au lieu de dire ses litanies à madame la Vierge, pensoyt-elle en son cueur cecy : « Pour sentir la bonne ieunesse de cet amant gentil et avoir ioyes pleines en amour, gouster tout en ung moment, peu me chault du buschier où sont gectez les héréticques. » Puis le gentilhomme, voyant les atours de ceste bonne femme et ses supercoulorations alors que il l’advisoyt, revint tousiours près de son banc et luy adressa de ces requestes auxquelles entendent bien les dames. Puis, à part luy, disoyt :

— Par la double corne de mon père ! ie iure d’avoir ceste femme, encores que i’y lairroys la vie.

Et quand la douegna tournoyt la teste, les deux amans se serroyent, pressoyent, sentoyent, respiroyent, mangioyent, dévoroyent et baisoyent par un resguard à faire flamber la mesche d’ung arquebouzier, si arquebouzier eust esté là. Force estoyt qu’ung amour entré si avant au cueur prist fin. Le gentilhomme se vestit en escholier de Montaigu, se mit à resgaller les clercs dudict Avenelles et gausser en leur compaignie, à ceste fin de cognoistre les alleures de ce mary, ses heures d’absence, ses voyaiges et tout, guettant un ioinct pour l’encorner. Et vécy comme, à son dam, se rencontra le ioinct. L’advocat, contrainct de suivre le cours de ceste coniuration, alors mesmes qu’il estoyt, à part luy, conclud, le cas échéant, de la déduire aux Guyses, se délibéra d’aller à Bloys où lors estoyt la Court en grant dangier d’estre enlevée. Saichant cela, le gentilhomme vint premier en la ville de Bloys, et y rubricqua un maistre piège où debvoyt tomber le sieur Avenelles maulgré sa ruse et n’en sortir que