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CONTES DRÔLATIQUES.

sçauroyt saillir de sa chambre et saulter en la sienne où elle se iactoyt de le rendre plus sçavant que n’estoyt son père. Bien feut content l’espoux et mercia madame d’Amboise, la requérant de ne sonner mot de ce traffic.

Pendant ce avoyt pesté le bon vieux Braguelongne, lequel disoyt en son ame : — Vieille Ha ! Ha ! vieille Hon ! Hon ! que t’estouffe la cocqueluche ! que te ronge ung cancre ! vieille estrille esdentée ! vieille pantophle où le pied ne tient plus ! vieille arquebuse ! vieille morue de dix ans ! vieille araignée qui ne remue plus que en s’entoilant le soir ! vieille morte à yeulx ouverts ! vieille berceuse du diable ! vieille lanterne du vieil crieur d’oublies ! vieille de qui le resguard tue… vieille moustache du vieil thériacleur ! vieil à faire plourer la mort ! … vieille pédale d’orgue ! vieille guaisne à cent coulteaux ! vieulx porche d’ecclise usé par les genoilz ! vieulx tronc où tout le monde ha mis ! Ie donneroys tout mon heur à venir pour estre quitte de toy !

Comme il parachevoyt ce légier pensier, la iolie marieé, qui songioyt au grant chagrin où estoyt son ieune mary de ne point sçavoir les erremens de ceste chouse essentielle en mariaige, et ne se doubtant nullement de ce que estoyt, cuyda luy saulver quelque grant estrif, hontes et poines graves, en soy instruisant. Puis compta bien l’estonner et resiouir, en la prochaine nuictée, alors que elle luy diroyt en lui enseignant son debvoir : « Voilà ce que est de la chouse, mon bon amy. » Doncques, nourrie en grant respect des vieilles gens par sa chière douairière, elle se délibéra d’arraisonner cettuy bonhomme avecques des manières gentilles, pour en distiller le doulx mystère de l’accointance. Ores, le sieur de Braguelongne, honteux de s’estre entortillé dans les pensées navrantes de sa besongne du soir et de ne rien dire à si frisque compaignie, feit une interroguation sommaire à la iolie mariée sur ce que elle estoyt bien heureuse, fournie d’ung ieune mary, bien saige.

— Oui, bien saige, feit-elle.

— Trop saige… peut-estre, dit le lieutenant soubriant.

Pour estre brief, les chouses s’entrefilèrent si bien entre eulx, que, en entonnant ung aultre canticque pétillant d’allaigresse, le sieur de Braguelongne s’engagea, de ce requis, à ne rien espargner pour desemberlucoquer l’entendement de la bru de madame d’Amboise, laquelle promit de venir estudier la lesson chez luy. Faictes estat que la dicte dame d’Amboise après souper,