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CONTES DRÔLATIQUES.

mirer du voisin, les uns à l’amble, les aultres au petit trot, beaucoup au galop, le moindre numbre au pas, veu que ceste voye est fort déclive. Aussy, en ces momens, le diable feit trez-bien ses orges en toute chouse, veu que les desportemens estoyent de bon air. La paouvre anticque dame Vertu s’estoyt, grelottante, réfugiée on ne sçait où, mais, de cy, de là, vivottoyt en compaignie de preudes femmes.

Dans la trez-noble maison d’Amboise, demeuroyt encores en pieds la douairière de Chaumont, vieille vertu trez-esprouvée, et en qui s’estoyt retirée toute la religion et gentilhommie de ceste belle famille. La dicte dame avoyt prins, en son giron, dès l’aage de dix ans, la petite pucelle dont s’agit en ceste adventure, ce dont madame d’Amboise ne receut aulcun soulcy, en feut plus libre de ses menées, et depuis, vint veoir sa fille une foys l’an, quant la Court passoyt par là. Nonobstant ceste haulte réserve de maternité, feut conviée madame d’Amboise aux nopces de sa damoiselle, et aussy le sieur de Braguelongne, par le bonhomme, souldard qui sçavoyt son monde. Mais point ne vint à Moncontour la chiere douairière, pour ce que ne luy en octroya point licence sa desplourable sciacticque, sa catarrhe, ni l’estat de ses iambes, lesquelles ne gambilloyent plus. De ce, moult ploura la bonne femme. Se froingna-t-elle bien de lascher, ez dangiers de la Court et de la vie, ceste gente pucelle, iolie autant que iolie peut estre une iolie fille ; mais si falloyt-il luy donner la volée. Ains ce ne feut point sans luy promettre force messes et oraisons, dictes en chasque vesprée pour son bonheur. Et se reconforta ung petit la bonne dame, en songiant que son baston de vieillesse iroyt aux mains d’ung quasi-sainct, dressé à bien faire par le dessus dict abbé, lequel estoyt de sa cognoissance, ce qui ayda fort au prompt eschange des espoux. Enfin la baisant avecques larmes, la vertueuse douairière lui feit les darrenières recommandations que font les dames aux espouzées : comme quoy debvoyt estre en respect devant madame sa mère, et bien obéir en tout au mary. Puis arrive en grant fracas la pucelle, soubz la conduite des meschines, chamberières, escuyers, gentils hommes et gens de la maison de Chaumont, que vous eussiez cuydé son train estre celluy d’ung cardinal légat. Doncques vindrent les deux espoux, la veille de leurs espousailles. Puis, les festes faictes, feurent mariés en grant pompe, au iour de Dieu, à une messe dicte au chasteau par l’évesque de Blois, lequel estoyt ung grant