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LA FAULSE COURTIZANE.

dirons rien à Madame ! Doncques, ventre-Dieu, ie veulx te faire cognoistre les ioyes du ciel. — Là ! feit-il en tocquant l’huys de la chambre où estoyt la dame d’Hocquetonville, là est une dame de la Court et amye de la Royne, mais la plus grant prestresse de Vénus qui feut oncques, et dont ne sauroyent approucher aulcunes courtizanes, clapotières, bourbeteuses, villotières ni posticqueuses… Elle ha esté engendrée en ung moment où le paradiz estoyt en ioye, où la nature s’entrefiloyt, où les plantes practiquoyent leurs hymenées, où les bestes hannissoyent, baudouinnoyent, et où tout flamboyt d’amour. Quoyque femme à prendre ung autel pour son lict, elle est néantmoins trop grant dame pour se laisser veoir et trop cogneue pour proférer aultres paroles que crys d’amour. Mais point n’est besoing de lumière, veu que ses yeulx gectent des flammes ; et point n’est besoing de discours, veu que elle parle par des mouvements et torsions plus rapides que celles des bestes faulves surprinses en la feuillée. Seulement, mon bon Raoul, avecques monture si gaillarde, tiens-toy mie aux crins de la beste, lucte en bon chevaulcheur et ne quitte point la selle, veu que d’un seul gect elle te cloueroyt aux solives, si tu avoys à l’eschine ung boussin de poix. Elle ne vit que sur la plume, brusle tousiours et tousiours aspire à homme. Nostre paouvre amy deffunct, le ieune sire de Giac, est mort blesmy par son faict ; elle en ha frippé la mouelle en ung printemps. Vray Dieu ! pour cognoistre feste pareille à celle dont elle sonne les cloches et allume les ioyes, quel homme ne quitteroyt le tiers de son heur à venir ! et qui l’a cogneue donneroyt, pour une seconde nuictée, l’éternité tout entière sans nul regret.

— Mais, feit Raoul, en chouses si naturellement unies, comment y ha-t-il doncques si fortes dissemblances ?

— Ha ! ha ! ha !

Vécy mes bons compaignons de rire. Puis animez par les vins et sur ung clignement d’yeulx du maistre, tous se prindrent à raconter mille finesses, mignardises, en criant, se demenant et s’en pourleschant. Ores, ne saichant point que une naïve escholière estoyt là, ces braguards, qui avoyent noyé leur vergongne ez pots, desnumbrèrent des chouses à faire rougir les figures engravées aux cheminées, lambriz et boiseries. Puis le duc enchérit sur tout, disant que la dame qui estoyt couchiée en la chambre et attendoyt ung guallant debvoyt estre l’empérière de ces imaginations farfallasques pour ce qu’elle en adiouxtoyt en chaque nuict