Page:Balzac - Contes drolatiques.djvu/296

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
268
CONTES DRÔLATIQUES.

d’amans convoitent, ores cy, ores là, de prendre, à l’insceu de tout, fors Dieu, aulcune nuictée d’amour, à ceste fin de ne point yssir en l’aultre monde, les mains, le cueur et le tout vuydes, faulte d’avoir notablement cogneu les chouses espéciales que vous sçavez. Doncques ma dicte dame de Beauieu, sans faire de l’estonnée en escoutant la promesse de ce ieune homme, veu que les personnes royales doibvent estre accoustumées à tout avoir par douzains, guarda ceste parole ambitieuse au fond de sa cervelle ou de son registre d’amour, qui en grezilloyt d’advance. Puis elle releva le ieune Tourangeau, qui treuvoyt dedans sa misère le couraige de soubrire à sa maistresse, laquelle avoyt la maiesté d’une vieille rose, les aureilles en escarpin et le tainct d’une chatte malade, mais si bien attifée, si iolie de taille, et le pied si royal, la croupe tant alerte, que il pouvoyt se rencontrer, en ceste maulvaise fortune, des ressorts incogneus pour l’ayder à parfaire le verbe qu’il avoyt lasché.

— Qui estes-vous ? feit la Régente en prenant l’air rebarbatif du feu Roy.

— Ie suis vostre trez-fidelle subiect Iacques de Beaune, fils de vostre argentier, lequel est tombé en disgraace, maulgré ses féaulx services.

— Hé bien, respondit la dame, reboutez-vous sur vostre ais. I’entends venir, et il n’est point séant que les gens de ma maison cuydent que ie suis vostre complice en ceste farce et momerie.

Ce bon fils veit au doulx son de la voix que la bonne dame luy pardonnoyt bien gracieusement l’énormité de son amour. Doncques il se couchia sur la table et songia que aulcuns seigneurs estoyent advenus à la Court en chaussant ung vieil estrier ; pensier qui le raccommoda parfaitement avecques son bon heur.

— Bien ! feit la Régente à ses meschines, ne faut rien. Ce gentilhomme est mieulx. Graaces soient rendues à Dieu et à la saincte Vierge, il n’y aura point eu de meurtre en mon hostel.

En ce dysant, elle passoyt la main dedans les cheveulx de l’amant qui luy estoyt à point tombé du ciel ; puis, prenant de l’eaue du Bonhomme, elle luy en frotta les tempes, deffeit le pourpoinct, et, soubz l’umbre de veoir au salut du navré, vérifia, mieulx qu’ung greffier commis à