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LES CONTES DRÔLATIQUES.

ung chascun se feut acclimaté, le voisin chez la voisine, et voisine au voisin, ils sentirent ung remue-mesnaige qui se résolut en secrets dezirs. — Hein ! feit le curé, qui se retourna devers sa compaigne, vécy une belle rachée de bois qui ha poulsé bien espaisse…

— Elle est trop près de la route, reprint la fille. Les maulvais gars couperont les branches, ou les vaches mangeront les ieunes poulses.

— Et n’estes-vous point mariée ? demanda le curé reprenant le trot.

— Non, feit-elle.

— Pas du tout ?

— Ma fy ! non.

— Et c’est honteux à vostre aage…

— En da, oui, monsieur ; mais, voyez-vous, une paouvre fille qui ha faict ung enfant est ung bien maulvais bestail.

Lors, le bon curé, ayant pitié de ceste ignorance, et saichant que les canons disoyent, entre aultres chouses, que les pasteurs debvoyent endoctriner leurs ouailles et leur remonstrer leurs debvoirs et charges en ceste vie, crut bien faire son office en apprenant à celle-cy le faix que elle auroyt ung iour à porter. Alors il la pria doulcement qu’elle ne feust point paoureuse, et que, si elle vouloit se fier en sa loyauté, iamais ne seroyt sceu de personne l’essay du chausse-pied de mariaige qu’il luy proposoyt de faire incontinent ; et comme, depuis Ballan, à ce pensoyt la fille ; que son envie avoyt esté soigneusement entreteneue et accreue par le chauld mouvement de la beste, elle respondit durement au curé : — Si vous parlez ainsy, ie vais descendre.

Lors le bon curé continua ses doulces requestes, si bien qu’ils atteignirent les bois d’Azay, et que la fille voulut descendre ; et, de faict, le prebstre la descendit, car il estoyt besoing d’estre à cheval aultrement pour achever ce desbat. Alors la vertueuse fille se saulva dedans le plus espais du bois pour fuir le curé, criant : — Oh ! meschant, vous ne sçaurez point où ie suis.

La mule arrivée en une clairière où la pelouze estoyt belle, la fille tresbucha à l’encontre d’une herbe, et rougit. Le curé vint à elle ; puis là, comme il avoyt sonné la messe, il la dit ; et tous deux prindrent ung gros à-compte sur les ioyes du paradiz. Le bon prebstre eut à cueur de la bien instruire, et treuva sa cathéchumène