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LES CONTES DRÔLATIQUES.

remuer le mort en sa fosse, que vous voilà tout desmanchié ?

— Ho ! ho !

— Vous ha-t-on deceu ?

— Ha ! … ha ! …

— Dites doncques !

— Ma mye, ie suis encores tout espanté de la mort de ce paouvre Cochegrue, et il n’est en ce moment, à vingt lieues à la ronde, langue de bonne mesnaigière et lèvres de vertueux cocqu qui n’en parlent…

— Et qu’est-ce ?

— Oyez. Ce bon Cochegrue retournoyt du marché, ayant vendu son bled et deux cochons à lard. Il revenoyt sur sa jolie iument laquelle, depuis Azay, commençoyt à s’enamourer, sans que, de ce, il eust le moindre vent ; et paouvre Cochegrue trottoyt, trottinoyt, en comptant ses proufficts. Vécy, au destourner du vieulx chemin des Landes de Charlemaigne, ung maistre cheval, que le sieur de la Carte nourrit en ung clos, pour en avoir belle semence de chevaulx, pour ce que ce dict animal est trez-idoyne à la course, beau comme peut l’estre ung abbé, hault et puissant, tant que monsieur l’admiral l’est venu veoir et dit que c’estoyt une beste de haulte futaye ; doncques ce diable chevalin flaire ceste iolie iument, faict le sournoys, ne hennit ni ne dict aulcune périphrase de cheval, mais, quand elle est iouxte le chemin, saulte quarante chaisnées de vignes, court dessus en piaffant des quatre fers, entame l’escopetterie d’ung amoureux qui chomme d’accointance, déclicque des sonneries à faire lascher vinaigre aux plus hardis, et si dru, que ceulx de Champy l’ont entendu et ont eu grant paour. Cochegrue se doubtant de l’estrif, enfile les Landes, picque sa lascive iument, se fie sur son rapide cours, et, de faict, la bonne iument l’escoute, obéit et vole, vole comme ung oyseau ;