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CONTES DRÔLATIQUES.

Et, de faict, monsieur d’Armignac se monstra bien tost avecques une teste à la main, et la posant toute sanglante sur le hault de la cheminée :

— Vécy, madame, dit-il, ung tableau qui vous endoctrinera sur les debvoirs d’une femme envers son mary.

— Vous avez tué ung innocent, respondit la comtesse sans paslir. Savoisy n’estoyt pas mon amant.

Et, sur ce dire, elle resgarda fièrement le connestable avecques ung visaige masqué de tant de dissimulation et d’audace féminines, que le mary resta sot comme une fille qui laisse échapper quelque note d’en bas devant une nombreuse compaignie, et il feut en doubte d’avoir faict ung malheur.

— A qui songiez-vous doncques ce matin ? demanda-t-il.

— Ie resvoys du Roy, feit-elle.

— Et doncques, ma mye, pourquoy ne pas me l’avoir dict ?

— M’auriez-vous crue, dans la bestiale cholère où vous estiez ? Le connestable se secoua l’aureille et reprint :

— Mais comment Savoisy avoyt-il une clef de nostre poterne ?

— Ah ! ie ne sçay pas, dit-elle briefvement, si vous aurez pour moi l’estime de croire ce que i’ay à vous respondre.

Et la connestable vira lestement sur ses talons, comme girouette tournée par le vent, faisant mine d’aller vacquer aux affaires du mesnaige. Pensez que monsieur d’Armignac feut grandement embarrassé de la teste du paouvre Savoisy, et que, de son costé, Boys-Bourredon n’avoyt nulle envie de tousser, en entendant le comte qui grommeloyt tout seul des paroles de toutes sortes. Enfin, le connestable frappa deux grans coups sur la table et dit : « Ie vais tomber sur ceulx de Poissy ! » Puis il se departit, et, quand la nuict feut venue, Boys-Bourredon se sauva de l’hostel soubz ung déguisement quelconque.

Le paouvre Savoisy feut moult plouré de sa dame, qui avoyt faict tout le plus qu’une femme peut faire pour délivrer ung amy ; et, plus tard, il feut mieulx que plouré, il feut regretté, veu que la connestable ayant raconté ceste adventure à la royne Isabeau, celle-cy desbaucha Boys-Bourredon du service de sa cousine et le mit au sien propre, tant elle feut touchiée des qualitez et du ferme couraige de ce gentilhomme.

Boys-Bourredon estoyt ung homme que la Mort avoyt bien recommandé aux dames. En effect, il se banda si fièrement contre tout, dans la haulte fortune que luy feit la Royne, qu’ayant mal