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LES IOYEULSETEZ DU ROY.

sont de mon ministère, et ie doibs vous dire qu’il y ha de la sorcellerie dans ceste maison.

— Ah ! petit prebstre, tu veulx plaisanter avecques moi, dit le Roy.

A ces paroles, les assistans ne sceurent plus distinguer leurs chausses de la doublure, et se conchièrent de paour, à se rompre la gorge.

— Oh ! me manquez-vous de respect ? dit le Roy, qui les feit blesmir. Holà, Tristan, mon compère ! cria Loys unze par la fenestre, en la levant soubdain, monte icy !

Le grand prevost de l’hostel ne tarda point à paroistre, et, comme ces seigneurs estoyent tous gens de rien, eslevez par la faveur du Roy, Loys unze, par un temps de cholicque, pouvoyt les dissoudre à son gré ; de sorte que, hormis le cardinal qui se fioyt sur sa soutane, Tristan les treuva tous roides et pantois.

— Conduis ces messieurs au prétoire, sur le Mail, mon compère ; ils se sont embrenés à trop mangier.

— Suis-je pas une bonne raillarde ? luy dit Nicole.

— La farce est bonne, mais orde en diable, respondit-il en riant.

Ce mot royal feit cognoistre aux courtizans que le Roy n’avoyt pas voulu iouer ceste foys avecques leurs testes, ce dont ils bénirent le Ciel. Ce monarque aymoyt fort ces salauderies. Ce ne estoyt point d’ung meschant homme, comme le dirent les convives en se mettant à l’aise au bord du Mail, avecques Tristan, qui, en bon Françoys, leur tint compaignie et les escorta chez eulx. Voilà pourquoy depuis uncques ne faillirent les bourgeois de Tours à conchier le Mail du Chardonneret, veu que les gens de la Court y avoyent esté.

Ie ne quitterai point les chausses de ce grant Roy sans mettre par escript la bonne coyonnerie qu’il feit à la Godegrand, laquelle estoyt une vieille fille, en grand despit de ne point avoir treuvé de couvercle à son pot durant les quarante années qu’elle avoyt vivoté, enraigeant dans sa peau tannée d’estre tousiours vierge comme ung mulet. Ladicte fille avoyt son logiz de l’aultre costé de la maison qui appartenoyt à la Beaupertuys, en l’endroict où est la rue de Hiérusalem, si bien qu’en se iuchant à ung balcon iouxtant le mur, il estoyt amplement facile de veoir ce qu’elle faisoyt et de ouyr ce qu’elle disoyt dans une salle basse où elle demeuroyt ; et, souventes foys, le Roy prenoyt de bons divertissemens de ceste